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Sommaire
Figure omniprésente et pourtant mystérieuse du Bordeaux gascon, Jean-Antoine « Meste » Verdié occupe une place à part dans le paysage de l’écrit occitan. Né à la fin d’un siècle que l’on considère souvent comme une période creuse de la littérature d’oc, mort trop jeune pour avoir connu Jasmin et le Félibrige, souvent jugé avec une sévérité excessive dans les anthologies, Verdié est différent. Dans une ville en pleine mutation économique et urbanistique, il lance pourtant le siècle d’or de l’occitan bordelais et reste l’un des plus gros succès de librairie qu’aie connu du Port de la Lune au XIXe siècle. Dans la bouche des anciens, sur les marchés ou chez les bouquinistes, Verdié est encore partout. Il est LE représentant du Bordeaux gascon, de l’esprit recardèir de Saint-Michel et des Capucins, des forts des halles et des paysans médoquins endimanchés. Mais il est aussi un des derniers continuateurs de la tradition de l’écriture occitane farcesque et carnavalesque, héritier revendiqué de Goudouli et de François de Cortète.
Verdié, Antoine (1779-1820)
- Meste Verdié (pseudonyme)
- Verdié, Jean Antoine (autre forme du nom)
Jean-Antoine Verdié est né le 11 décembre 1779 à Bordeaux, probablement dans la paroisse Saint-Rémi, derrière l’actuelle place de la Bourse, à deux pas de la Garonne. Nous ignorons le lieu exact de sa naissance, mais c’est dans l’église paroissiale Saint-Rémi qu’il est baptisé. Son milieu social est très modeste et mal documenté. Son père, Jean Verdié, est boulanger, probablement selon Philippe Gardy davantage un revendeur de pain et de gâteaux qu’un véritable artisan. Sa mère, Marie Brunetié, est un personnage sur lequel nous n’avons aucune information, excepté qu’elle semble être décédée précocement. Nous ignorons à peu près tout de l’éducation de Verdié, éducation dont ses références en matière de littérature laissent penser qu’elle ne fut pas bâclée, mais au contraire de bonne qualité.
Verdié se marie le 5 mai 1806 à Bordeaux avec Catherine « surnommée Rose N... » jeune fille mineure de dix-sept ans, demeurant au faubourg Saint-Seurin, c’est à dire dans des quartiers relativement récents à l’époque établis autour de la basilique Saint-Seurin, à l’ouest de Bordeaux, sur la route du Médoc. Nous sommes à l’opposé géographique de son lieu de naissance. C’est le quartier (alors semi-rural) où se déroule le Carnaval de Bordeaux, alors à son apogée, en particulier la procession du Mercredi des Cendres qui conduit les Bordelais jusqu’au village voisin de Caudéran. Ce détail n’en est pas un. C’est là que le ménage s’installe. Verdié est alors déclaré comme boulanger de profession. Verdié et son épouse eurent dans les années suivantes deux enfants, deux fils semble-t-il tous deux décédés en bas âge.
En 1810, Verdié s’installe à Bayonne. Les actes de naissance de deux autres de ses enfants (un fils et une fille) nous apprennent qu’il réside, entre 1810 et 1812 au numéro 51 de la rue Pannecau, puis de 1812 à 1814 au numéro 8 de la rue des Cordeliers. Les deux rues sont voisines, et 150 mètres séparent les deux habitations. Ce détail a son importance, parce que c’est dans ce quartier du Petit Bayonne, sur les bords de la Nive, entre le château et la cathédrale qu’a vécu est qu’est mort en 1807 le chansonnier gascon Pierre Lesca, en quelque sorte le Verdié de Bayonne. Ce maître-tonnelier, natif de la même rue des Cordeliers, s’était donc éteint à peine quatre ou cinq ans avant que Verdié n’y emménage, tout près de là, rue Maubec. Lesca, personnage mal connu, avait probablement laissé un souvenir, une trace de son activité dans ce quartier d’artisans en tonnellerie et d’imprimeurs dont Philippe Gardy rappelle l’activité en matière d’écriture populaire gasconne, avec des chansons et des pièces farcesques dont la matière n’est pas sans rappeler celle de Verdié, en particulier un texte manuscrit attribué à un certain Mailli (dont nous ignorons tout). Verdié est alors infirmier major à l’hôpital militaire. Dans le contexte des guerres de l’Empire, en particulier de l’installation par Napoléon Bonaparte de son frère sur le trône d’Espagne, sans parler de son affrontement avec la Grande-Bretagne, Bayonne devient une place forte de première importance stratégique qui attire beaucoup de monde en quête d’emploi dans l’entourage de l’armée. Verdié, sa famille et un certain nombre de Bordelais de son entourage font partie du lot.
Verdié rentre à Bordeaux en 1814 et s’installe avec son épouse rue Pont-Long, toujours dans le faubourg Saint-Seurin. C’est vers cette époque que Verdié commence à écrire (nous ne connaissons aucune œuvre de lui antérieure à 1814). Ses pièces sont imprimées chez Anne Roy, veuve de Jean-Baptiste Cavazza, imprimeur-libraire bordelais guillotiné en 1794 pour sympathies monarchistes. En cette fin de l’Empire, le retour des Bourbons est intensément souhaité dans un Bordeaux étranglé par le blocus qu’imposent les Britanniques (partenaires commerciaux privilégiés). Verdié se fait alors le chantre d’un monarchisme légitimiste d’occasion, qui sera généralement mal compris et lui sera reproché. L’imprimerie Cavazza est alors un foyer d’édition de l’écrit favorable aux Bourbons à Bordeaux. Le 11 janvier 1817 au Théâtre Français est jouée sa Mort de Guillaumet, suite d’une de ses farces (l’Abanture comique, en 1815), dont le chroniqueur et avocat bordelais Pierre Bernadau salue la représentation par une note méchante dans ses Tablettes. Verdié est alors grenadier de la Garde Nationale de Bordeaux, poste dont il démissionnera pour devenir employé de l’octroi de la ville (pèla-gigòt, pèle-gigot selon l’appellation locale), puis travaille un temps comme « facteur » à la Ruche d’Aquitaine, revue littéraire bordelais d’Edmond Géraud (francophone, mais attiré par la thématique d’une Occitanie médiévale mythifiée), avant de lancer sa propre revue, mais en occitan : La Còrna d’Abondença, en 1819. Entouré d’une « société de poètes gascons » Verdié se lance dans le projet de la première revue littéraire en langue d’oc connue. Il en livrera sept numéros. Verdié déménage finalement place de Rodesse, dans le quartier Mériadeck. Il y décède le 25 juillet 1820 à l’âge de 40 ans. Nous ignorons les circonstances de sa mort, par ailleurs assez peu documentée. Verdié devient, à peine mort, un personnage de contes et légendes. Vingt-six ans après, en 1846, son premier biographe Laurent Charles Grellet-Balguerie (qui signe Charles Bal) répand l’idée que Verdié a été « sablé » c’est à dire battu à mort avec une peau d’anguille remplie de sable tassé, pour ne laisser aucune trace. On parle de dettes, mais aussi d’excès en tous genres, et même, selon une légende urbaine locale qui se fait jour vers la fin du siècle, d’un pacte avec le diable, qui ferait de l’auteur bordelais une sorte de Faust de l’écriture. Verdié, enterré dans le carré des indigents du cimetière de la Chartreuse, n’aura droit à une véritable sépulture que bien des années plus tard, sur la volonté de sa sœur. Cette tombe a été détruite et a aujourd’hui disparu.
L’œuvre de Verdié se compose principalement d’œuvres en occitan mêlé de francitan. Il s’agit d’un topos farcesque connu et utilisé depuis le XVIIe siècle au moins, autant dans la littérature française qu’occitane, que bien d’autres auteurs de langue d’oc, notamment à l’époque baroque, ont utilisé, tels Goudouli ou François de Cortète de Prades. Verdié a écrit des textes en vers qui semblent avoir été destinés à être joués, à la façon des farces de l’âge baroque, dont seul un canevas de texte était écrit, l’interprétation étant laissée au talent d’improvisation des acteurs. Mais il nous a également laissé des pièces en français (réputées de piètre qualité), des chansons et quelques textes de circonstance ou de commande. Presque tout ce qui a été imprimé du vivant de l’auteur l’a été chez la veuve Cavazza :
- Acrostiche à l'honneur de Monsieur Lainé, ministre de l'Intérieur, ou la reconnaissance des Bordelais (1814)
- L'abanture comique de meste Bernat ou Guillaoumet de retour dens sous fougueys (1815)
- La Catastrophe affruse arribade à meste Bernat ou sa séparatioun dam Mariote (1815)
- Sounet dédiat aou Rey. (sans doute 1815)
- La Revue de Meste Jantot dans l'arrondissement de Bordeaux, ou la Rentrée des Bourbons en France, poëme dialogué, dédié aux amis du Roi, par M. Antoine Verdié (1816)
- La mort de Mariote ou meste Bernat bengé (1816)
- La mort de Guillaumet (1816)
- La Conduite de Grenoble, ou la Conspiration manquée, chanson nouvelle, dédiée aux gardes nationales du royaume (1816)
- Le Mois de mars passé, ou le Poisson d'avril mangé par les bonapartistes, chanson nouvelle (1816)
- Rondeau du mois de mai... à l'honneur du mariage de S.A.R. Monseigneur le duc de Berri (1816)
- La mort de Guillaumet, tragédie burlesque en 2 actes et en vers, Bordeaux, Théâtre Français, 11 janvier 1817
- Lou Sabat daou Médoc ou Jacoutin lo debinaeyre dam Piarille lou boussut (1818)
- Bertoumiou à Bourdeou ou lou peysan dupat (1818)
- Respounse a Meste Verdié, autur daou Sabat saou Medoc. Satire patoise, per un Medouquin (1818), selon Philippe Gardy, Verdié est l’auteur de ce pamphlet rédigé contre lui-même.
- Antony lou dansaney ou la rebue des Champs-Eliseyes de Bourdeou (1818)
- Alexis ou l'infortuné laboureur (1818)
- Les enfans sans soucis, ou L'art de banir la tristesse (1818)
- Le Gascon à Bordeaux, ou Maffay et Lazzari, fait historique (1818)
- Cadichoune et Mayan ou les doyennes de fortes en gule daou marcat (1819)
- Fables nouvelles, dédiées à M. Dussumier-Latour,... commandant de la 2e cohorte de la Garde nationale bordelaise, par M. Verdié. Première édition (1819)
- L'Amour et le célibat, comédie en un acte et en vers, par M. Verdié (1819)
- Réponse de M. Verdié à la satire qui a été publiée contre lui, ou Rira bien qui rira le dernier (1819)
- La Corne d'aboundence, oubratge poétique et récréatif per une societat de poetes gascouns et rédigeat per Meste Verdié. Neuf livraisons (1819-1820)
- Dialogue entre l'illustre Don Mardi-Gras et Carême l'abstinent, sans date, d’attribution douteuse.
- Le procès de Carnaval, ou Les masques en insurrection, sans date.
- Testament de Mardi-Gras, sans date.
- Conversion de Mardi-Gras, sans date.
- Cansoun, sans date.
- Chanson nouvelle, dédiée aux Bordelais pour l'anniversaire des douze mois, sans date.
- Le Corps-de-garde, chanson à l'honneur de la nouvelle organisation de la Garde nationale bordelaise, sans date.
- Lou Gascoun sur la route de Paris, attribution incertaine, sans date.
- Le Gâteau du 6 janvier, sans date.
Pour une bibliographie complète de Verdié, il sera renvoyé à la synthèse de François Pic, à la fin de l’ouvrage référentiel de Philippe Gardy : Donner sa langue au diable. Vie, mort et transfiguration d’Antoine Verdié, Bordelais. Fédérop, Section Française de l’Association Internationale d’Études Occitanes, 1990. Il s’agit de la synthèse la plus complète de la vie et de l’œuvre de Verdié qui ait été faite à ce jour.
Verdié fut un des plus gros succès de librairie à Bordeaux au XIXe et au début du XXe siècles. Outre les éditions séparées d’œuvres parues de son vivant, puis dans les années qui ont suivi sa mort (par la veuve Cavazza, puis par son successeur Lebreton), il convient de citer les regroupements de ses textes, publiés par les imprimeurs-libraires Élie Mons, puis Auguste Bord, dans les années 1840-50. La première édition de ses œuvres (presques) complètes voit le jour en 1868, chez Émile Crugy. François Pic précise que « d’une manière ininterrompue le public bordelais put, de 1868 aux dernières années du XIXe siècle, découvrir, posséder et relire les principales œuvres d’A. Verdié » (op. cit. p.211). Il convient de ne pas omettre le travail de Grellet-Balguérie, premier biographe de Verdié : Essai sur les poésies françaises et gasconnes de Meste Verdié, poète bordelais, par Charles Bal. Bordeaux, Coudert, 1846, qui s’appuient sur des témoignages de personnes ayant connu Verdié, dont, semble-t-il, sa propre sœur. Par la suite, nous pouvons citer plusieurs rééditions :
- Œuvres gasconnes de Meste Verdié, poète bordelais (1779-1820). Édition nouvelle soigneusement collationnée, considérablement augmentée et précédée d'une notice, sur Antoine Verdié. Son temps, sa vie, ses œuvres, sa langue, par Léon Bonnet, lauréat des Jeux floraux septenaires. Préface de M. Édouard Bourciez, professeur de langues et littératures du sud-ouest de la France, à la Faculté des lettres de Bordeaux. Féret et fils, Bordeaux, 1921.
- Farces bordelaises, traduction par Bernard Manciet, préface par Albert Rèche, Bordeaux, l'Horizon chimérique, 1989.
- Mèste Verdié. Obras gasconas : Bordeaux, Ostau occitan ; Toulouse, Institut d'études occitanes ; Orthez, Per noste, 1979.
- Istoèras bordalesas e gasconas. Version bilingue gascon-français. Éditions des Régionalismes, 2016.
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