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Somari
Rares sont les chanteurs gascons qui n’ont pas repris à un moment ou un autre Los Tilholèrs, chanson au rythme lancinant, interprétée sur un mode mineur, qui dispute à la plus tardive Salut Baiona ! le titre d’hymne gascon bayonnais. La chanson est attribuée de façon quasiment certaine à un tonnelier-négociant du XVIIIe siècle, également connu dans la cité de la Nive et de l’Adour pour son activité de chansonnier : Pierre Lesca, qui signait Lesca-Hitze, associant selon l’usage au nom gascon de son père le patronyme basque de sa mère. Remaniée, réécrite, la chanson datable des années 1785-1788 est devenue un « classique » des chorales gasconnes. Mais à l’instar de son quasi-contemporain béarnais Despourrins, nous nous apercevons vite que nous ne savons finalement que peu de choses sur Lesca, et que l’attribution même de ses oeuvres est parfois bien douteuse.
Lesca, Pierre (1730-1807)
- Lesca-Hitze, Pierre (forme complète du nom de famille)
Pierre Lesca est né à Bayonne le 4 septembre 1730, dans la rue des Cordeliers, quartier que nous appelons aujourd’hui le Petit Bayonne. Il reçoit le baptême le jour même dans la cathédrale Sainte-Marie de Bayonne, église paroissiale de son quartier. Son père, Nicolas Lesca, est maître-tonnelier. Le quartier des Cordeliers est à cette époque un haut lieu de l’activité viticole : les vins du pays bayonnais, du sud des Landes, de Bordeaux et des environs de Peyrehorade, mais aussi l’eau-de-vie d’Armagnac se négocient sur les bords de la Nive, et jouissent alors d’une certaine estime. Un tonnelier, en ce temps, est généralement aussi marchand de vin et négociant. La profession est respectable, et les Lesca ont un statut de petits bourgeois et même de notables dans la ville du confluent. Le parrain de Pierre Lesca se trouve être un nommé Tauzin, maître-tonnelier lui aussi, confortant l’image d’une famille Lesca bien intégrée dans son tissu socio-professionnel. Sa mère se nomme Gracieuse Dihitze ou de Hitze, et l’on a longtemps cru Lesca issu par sa lignée maternelle de la petite noblesse basque. Il n’en est en fait rien. Gracieuse Dihitze est roturière, issue d’une famille basque implantée à Saint-Étienne-d’Arribe-Labourd, une paroisse au nord de Bayonne, depuis intégrée à la commune. Si le poète naquit bien dans la rue des Cordeliers, ou une plaque, apposée au n°25, rappelle cette illustre naissance, il semblerait qu’il y ait eu erreur sur la maison, et que Lesca ne soit pas né exactement à l’emplacement indiqué. René Cuzacq (1901-1977), grand érudit du sud des Landes et de la région bayonnaise, et quasiment seul biographe de Lesca, est parvenu au moyen de savants recoupements à localiser la véritable maison natale du poète-tonnelier, à presque en face de celle où en 1812 viendra s’installer le poète gascon bordelais Verdié. Les Lesca sont semble-t-il originaires d’Anglet, commune occitanophone située entre Bayonne et Biarritz.
La vie de Pierre Lesca ne présente ensuite rien de particulièrement différent de celle de n’importe quel artisan bayonnais de son temps. René Cuzacq, dans la notice qu’il consacre spécialement à Lesca, doit user d’un grand nombre de digressions pour remplir les presque 80 pages du petit livre. Nous ignorons sont éducation, que son bagage culturel et littéraire déductible du contenu de ses textes, permet de supposer complète et de bonne qualité. Son chai se trouve rue Pontrique, aussi appelée rue Maubec (qui coupe à angle droit la rue des Cordeliers), bien que l’évolution des noms des voies bayonnaises fasse correspondre, selon René Cuzacq, ce chai à l’actuel n°6-8 de la rue du Trinquet. En 1781, c’est dans ce chai qu’il reçoit une délégation du corps de ville de Bayonne, en robes de cérémonie et escorté d’hommes d’armes, venu lui remettre un pâté aux armes de la ville en récompense d’une cantate de son crû dédiée au roi. En 1751 ou 1752 (les archives sont douteuses), Lesca comparaît devant le tribunal de l’échevinage de Bayonne pour une chanson légère, en français, intitulée La Bouchère culbutée, tournant en ridicule une aventure arrivée à une Bayonnaise exerçant effectivement ce métier, Marie Danglade. Le texte de la chanson nous est parvenu. En 1758, son père décède et Lesca se marie l’année suivante. Le 7 août 1759, il épouse Marie Tiris, d’une famille originaire de la ville landaise de Vieux-Boucau-Port-d’Albret.
Ce que l’on sait en plus sur Lesca tient en quelques liasses des Archives municipales. En 1781, il est interpelé en tant que tonnelier pour avoir expédié en Hollande des barriques de vin de Jurançon et de Bergouey, en Chalosse, qui n’avaient pas toutes la contenance réglementaire. En 1784, nous possédons un bon de commande de vin de la municipalité bayonnaise (du vin d’Anglet, de Capbreton, de Lahonce et d’Ondres pour les banquets et réceptions municipaux), avec la facture portant signature de Lesca, qui apparaît dès lors comme un négociant ayant pignon sur rue dans la cité. Un autre acte de cette année nous le montre encore livrant du vin au corps municipal. En 1784, sur ordre de Louis XVI, Bayonne obtient le statut de port franc (de taxes), donc de zone non soumise au service des douanes. Cet événement est accueilli comme une immense joie par le milieu des négociants bayonnais, dont Lesca. D’autres actes nous le présentent en conflit avec un client, en 1787 en particulier. Lesca semble alors occuper une place éminente au sein de la très respectable corporation des maître-tonneliers, qui défile chaque année pour la Fête-Dieu, où leurs chefs portaient des ciris, des cierges où pendaient les insignes de la corporation, ainsi que ses armes. En 1789, il est un des co-signataires du cahier de doléances du corps des maîtres-tonneliers de la ville de Bayonne. La vieillesse de Lesca n’eut, semble-t-il, rien d’original. Il s’éteint dans sa maison, située au-dessus de son chai de la rue Maubec ou rue Pontrique le 21 octobre 1807, à l’âge de soixante-dix-sept ans. Sa femme lui survécut jusqu’au 7 mai 1820.
Ce sont, comme souvent, les félibres gascons de la première moitié du XXe siècle qui exhumèrent de l’oubli la mémoire de Pierre Lesca. Même si plusieurs auteurs du XIXe siècle, dont Ducéré, le citent, c’est au félibre Molia, dit Bernat Larreguigne (mort en 1937) que l’on doit l’initiative de la pose de la plaque sur la maison supposée natale de Lesca, l’emplacement choisi étant, selon Cuzacq, erroné : le tonnelier-poète serait en réalité né deux maisons à côté, à l’angle de la rue Charcutière. Lors de son inauguration en septembre 1925, l’adjoint au maire Simonet se fend d’un vibrant discours en gascon bayonnais à la gloire de l’auteur des Tilholèrs. C’est par les érudits bayonnais Édouard Ducéré et Théodore Lagravère que nous connaissons l’essentiel des oeuvres attribuées à Lesca, qui de son vivant ne publia rien. Lagravère, auteur en 1865 de Poésies gasconnes (Bayonne, Lamaignère, 1865), écrivait dans le Courrier de Bayonne depuis Paris, où il résidait. C’est là qu’il publie des poèmes qu’il attribue à Lesca, dont les fameux Tilholèrs dont il déclare avoir remanié et modifié le texte. L’Histoire topographique et anecdotique des Rues de Bayonne de Ducéré (Bayonne, Lamaignère, 6 tomes 1887-1894) propose plusieurs chansons de Lesca (tomes III, IV et V) qui rectifient les libertés semble-t-il prises par Lagravère. En 1928, l’Almanach de l’Acamédie gascoune de Bayonne, institution créée en 1926 à l’initiative de plusieurs Bayonnais, dont Pierre Rectoran, reproduit aussi plusieurs textes de Lesca. Aucune source directe ne semble disponible présentement sur Pierre Lesca, à l’exception d’une Requeste dous artisans, dans les archives non-classées de la Bibliothèque municipale de Bayonne, que Cuzacq attribue formellement à Lesca sur la base d’une comparaison de l’écriture avec des textes attestés de la main du tonnelier. Outre cela, toujours selon Cuzacq, seul le manuscrit 303 du fonds Bernadou de la Bibliothèque municipale de Bayonne renferme quelques poèmes attribués à Lesca, certains d’ailleurs à tort puisque postérieurs de plus de trente ans à la mort du chansonnier. D’après les publications de tous ces érudits, les oeuvres attribuables à Lesca que nous connaissons à l’heure actuelle sont : Le cante dous tilholés (un tilholèr est un batelier maniant la tilhòla, ancien type de barque de l’Adour et de la Garonne), dont un couplet cite le nom du maire de Bayonne, Joseph Verdié, en activité de 1785 à 1788. Nous savons que Lagravère, dans sa transcriptions (il prétend avoir retrouvé le manuscrit original) a changé des noms et réécrit des parties, mais si ce nom-là est d’origine, nous possédons un élément de datation de la chanson. Nous possédons aussi Le Consulte, Requeste dous gardes de bile, Le cante à l’aunou de le nachence dou daufin, Aute cante nabere, Ronde des Agneteires, Chanson du Carnaval, Chanson des Cocus, Requeste dous artisans ainsi que la Bouchère culbutée, en français.
Concernant la bibliographie, outre les ouvrages précités de Lagravère, Ducéré et de l’Académie gasconne, ainsi que les rares sources manuscrites, les deux seules synthèses sur Lesca sont toutes deux de René Cuzacq : Panorama de la littérature gasconne de Bayonne, Le Livre, Bayonne, 1941 (pp. 56-62) et La vie de Pierre Lesca, poète gascon bayonnais (1730-1807), Mont-de-Marsan, éditions Jean-Lacoste, 1955.
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