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Somari
Jacques Libérat Prunac, dit Mèstre Prunac (1787-1865), boulanger à Sète (alors orthographié Cette), fait partie de cette noria de poètes locaux d’expression occitane de l’époque préfélibréenne, qui n’ont généralement pas connu la notoriété, faute d’avoir vu leur œuvre intégrée à un groupe ou une école artistique à même de la valoriser et de lui donner de l’écho. Certains d’entre eux n’ont même pas été publiés de leur vivant, d’autres se sont offert ou vu offrir comme un cadeau d’adieu une édition de leurs œuvres complètes à la fin de leur vie. Ceux qui, comme Jasmin, Verdié, Reboul ou Gelu ont connu la reconnaissance au point de faire école dans leur ville et au-delà, ont bénéficié d’un contexte favorable, d’un entourage qui les y a aidés, d’un milieu éditorial propice ou tout simplement ont su faire montre d’un sens de l’autopromotion plus développé que les autres. Ils écrivaient généralement dans une graphie plus ou moins phonétique, utilisant les normes graphiques du français pour transcrire les sons de la langue occitane. Appartenant à des générations antérieures à celles des premiers félibres, ces auteurs sont souvent influencés par des sources antérieures, tout en étant très marqués idéologiquement, quelque soit le camp auquel ils appartiennent.
Libérat, Jacques (1787-1865)
- Libérat Prunac, Jacques (variante du nom)
- Mestre Prunac (pseudonyme)
- Méstré Prunac (pseudonyme)
Nous ne savons pratiquement rien sur Jacques Libérat Prunac, né le 20 décembre 1787 à Sète où il est mort le 28 novembre 1865. Il exerçait la profession de boulanger dans sa ville, et écrivait - en français d’abord, puis en occitan, nous dit-il lui-même - à côté de son activité professionnelle, pendant son peu de temps de loisir. Dans la préface de ses œuvres complètes, publiées en 1861 chez l’imprimeur-libraire Gras à Montpellier, Las Fougassas de Mestré Prunac, boulangé dé Cetta, Prunac prend un ton qui n’est pas sans rappeler celui de Jasmin dans Mous Soubenis pour nous dépeindre la misère de son existence. Mais ne s’agit-il pas ici d’un topos narratif, dont des expressions pouvant évoquer des lieux communs « le pain noir de l’adversité », « au calice de mes amertumes », « quelques larmes de miel », « mes tristesses et mes douleurs » ? Il n’est pas aisé de répondre à cette question. Si l’on en croit ce qu’il a voulu transmettre de lui-même à son lectorat, Prunac connut donc dans son activité de boulanger les affres de la misère. Manifestement habité d’une profonde foi catholique, et appartenant probablement à des milieux que l’on pourrait qualifier de conservateurs. S’il a commencé, de son propre aveu, par écrire en français, Prunac s’est semble-t-il assez vite tourné vers la langue d’oc,
... notre idiome patois, langue si gracieuse et si pittoresque, langue de mon pays, que j'ai begayée sur les genoux de ma mère au sortir de mon berceau, langue qui m'a toujours été, depuis, aussi douce que familière.
Il est intéressant de noter que, si l’appellation « patois » apparaît sous sa plume, Prunac considère bien le parler d’oc de Sète comme une « langue ». Il l’appelle également « languedocien » (le parler sétois étant transitoire entre le languedocien oriental et le provençal maritime). La référence à la mère, à l’affect lié aux sonorités de la terre natale, font partie des topoï les plus courants dans les textes des écrivains occitans de cette époque, et encore longtemps après. Prunac ne se prive pas, dans son A mous lectous, de déplorer le recul - déjà - de l’occitan à Sète au milieu du XIXe siècle :
Dé parlà ben patoués n’és pa caouza facila,
Yoï lou parlan papus couma d’aou ten passat ;
Aquel poulit lengagé a prés lo toun dé villa,
Per trop se rafinà s’és tout despatouézat.
Rétrouvayen papus sa lengua marternèlla,
Sé das mors d’ancien ten né révéniè quaoucun ;
Trouvayen qué dé mescla en plaça dé touzella,
Les textes de Prunac oscillent entre humour et nostalgie, avec un ton généralement moralisateur, empreint de bienséance, parfois franchement misogyne, mais essayant d’être « badines » selon l’expression de l’auteur. Prunac n’a réuni ses œuvres qu’à la fin de sa vie, mais nous les connaissons aussi - tant ses pièces françaises qu’occitanes - par un recueil manuscrit conservé au CIRDOC, contenant les poèmes du boulanger, transcrits par son neveu F. Prunac et dédiées à la petite-fille de Mestre Prunac, Rosalie. Prunac cite parmi les gens l’ayant encouragé à écrire en occitan Auguste Mallié, auteur occitan sétois, que nous connaissons par la présence de ses œuvres dans l’Armanac Cetori, l’organe félibréen de « l’île singulière » à la fin du XIXe siècle, et son neveu l’abbé A. Bousquet, « aumônier », dont une pièce occitane est placée à la suite de l’introduction de l’édition de 1861.
Prunac a dédié un poème à Joseph Roumanille, dans lequel il exprime clairement qu’il connaît l’existence du félibrige provençal, et qu’il se sent attiré par cette société de poètes occitans visant à remettre en honneur la langue d’oc. Prunac est d’ailleurs cité par Mistral dans le Trésor du Félibrige. Prunac exprime son désir que son œuvre à lui, cantayré dé routina/Doun tout l’ar es lou naturel parvienne jusqu’aux félibres :
Ah ! sé din toun por arrivavou,
O felibré ! é sé t’agradavou,
Quinté bonur séyé lou siou !
Mais Prunac, qui a manifestement assisté à une séance du Félibrige à Nîmes, où Roumanille fut couronné de fleurs blanches par trois félibres, n’a manifestement pas été félibre lui-même. Peut-être était-il déjà trop âgé, ou trop occupé par ses activités. Toujours est-il qu’à la différence d’autres auteurs de l’époque pré-félibréenne, il fut informé de la naissance du mouvement, qu’il compare dans ses vers à un arc-en-ciel, en conçut de la joie et s’identifia pleinement à ce retour du printemps de la langue occitane.
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