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Tout comme Paul Froment, le félibre-paysan de Floressas, Émilien Barreyre est un des exemples les plus remarquables de poète occitan issu véritablement du monde du travail, ayant réussi, avec peu d’instruction « institutionnelle », à bâtir une œuvre littéraire qui laisse rêveur le lecteur actuel. Barreyre est un paysan de la mer, un malinèir, un marin. En ce temps-là, le Bassin d’Arcachon est un haut lieu de la pêche à la sardine (en plus de l’ostréiculture et du tourisme, déjà développé). Né à Arès, aux confins du pays de Buch et du Médoc, Barreyre exercera toute sa vie des métiers durs et ingrats : marin-pêcheur, militaire, gardien de sanatorium puis d’usine, tout en se montrant un membre actif du Félibrige. Cette vie de travail et de pauvreté est ourlée de récompenses qui pleuvent sur le poète-ouvrier pour ses oeuvres. Mistral, Palay, Camélat, sans oublier ses comparses girondins, les félibres Roger Romefort dit Gric de Prat ou encore son voisin Adrien Dupin, s’émerveillent de l’aisance poétique de cet Arésien taiseux, qui mourra en terre francilienne où il s’était exilé, sans avoir revu le Bassin d’Arcachon.
Barreyre, Émilien (1883-1944)
Émilien Barreyre est né le 20 avril 1883 à Arès, commune située au nord du Bassin d’Arcachon, où une plaque commémorative a été installée sur sa maison natale. Barreyre est issu d’un milieu essentiellement occitanophone : à la fin du XIXe siècle, l’occitan est la seule langue des pêcheur et des mariniers du pays de Buch. Sa mère ne parlera jamais véritablement français. Barreyre, issu d’une famille de pêcheurs, quitte l’école après le certificat d’études. Sa fille, Béline, raconte qu’il écrivait déjà des vers sur ses livres de classes. Barreyre devient pêcheur aux côtés de son père. Son frère aîné deviendra chauffeur de navire au long cours. Tout en maniant les rames ou le filet, Barreyre achète des manuels d’art poétique, essaie de comprendre la construction du vers et de la rime, et décide qu’il écrira désormais dans sa langue maternelle plutôt qu’en français. Il s’engage dans la Marine à 18 ans, et y reste cinq ans. Militaire, il reçoit une formation qui lui permet d’approfondir encore ses connaissances. Il s’inscrit à l’école Gastou Fébus, fondée depuis peu en Béarn par Simin Palay et Michel Camélat, avec qui il commence à correspondre. Pendant son passage à l’armée, il entame la rédaction de son premier recueil de poèmes, entièrement en occitan, Las Malineyres, les « filles de la mer », qui raconte la vie des pêcheurs du pays de Buch, mais aussi reprend quelques mythes et légendes locaux. Le livre paraît en 1912 et reçoit un accueil unanimement favorable. Barreyre a l’émotion de recevoir les félicitations du vieux Frédéric Mistral en personne. Barreyre est célébré comme poète au-delà du cénacle félibréen. Palay et Camélat l’incitent à présenter son oeuvre au concours des Jeux Floraux, où elle est récompensée de l’Églantine d’argent. Contrairement à Paul Froment qui y mourra, Barreyre rapporte donc de l’armée une conscience de poète occitan et un tatouage en forme d’ancre de marine qui orne sa main. Chose inhabituelle : Barreyre bénéficie de l’appui de ses parents dans son entreprise poétique. Sa mère veille à ne pas le déranger quand il écrit et son père, également charpentier de bateaux, lui fabrique un bureau en bois de pin. Pendant la Première Guerre mondiale, Barreyre est expédié à Salonique. Il y versifie, en français cette fois, et rebaptise son camp militaire « Camp des Olympiades ». Il en revient presque indemne, au contraire de son frère, disparu sur le front de l’Est. Fin 1920, il épouse une jeune femme rencontrée à l’hôpital de Meaux, où il était soigné pour une blessure. Installé à Arès, le couple vit difficilement. L’activité de pêche est difficile, et en 1923 Barreyre doit remplacer la barque de son père (appelée « Mirelha ») pour pouvoir poursuivre son activité et avoir droit à une retraite de marin. Lui et son épouse se placent donc au sanatorium « La Pignada » à Lège, commune limitrophe, pour pouvoir acheter une nouvelle barque. Il y compose Naïda, qui lui donnera droit à un rappel d’Églantine aux Jeux Floraux. Il est fait Mèste en gai-saber par le Félibrige. Mais suite au crach de 1929 et à la crise des années 1930, Barreyre est contraint de quitter la Gironde et doit accepter de s’exiler en région parisienne, à Joinville-le-Pont, exil qu’il croit provisoire. Simple ouvrier, il habite un appartement donnant sur une cour sans lumière. Il y accueille sa mère, qui ne parle toujours quasiment que le gascon. Elle y meurt en 1932. Barreyre développe alors un sentiment de regret et de tristesse de l’éloignement du pays du Buch dont il était profondément amoureux. Il compose intensément, des oeuvres marquées par l’exil. Dans Pesque de Neit, l’ancien combattant qu’il est se met dans la peau du soldat « ennemi » qui a le malheur de tomber loin des siens. Il est alors en contact avec l’abbé Joseph Salvat, un des fondateurs du Collège d’Occitanie. Il tente de suivre des cours par correspondance et essaie de d’initier à la graphie classique de l’occitan. En 1936, il reçoit une Primevère d’Argent pour l’Ode a la Mer de Gascogne. Barreyre, toujours en grande difficulté financière, écrit et fume beaucoup. Il sort peu et ne voit personne. Gardien de nuit aux Tréfileries du Havre, à Saint-Maurice, il tombe malade fin 1944 et meurt. Il est enterré à Joinville, précise sa fille « avec son meilleur costume et son béret basque ».
Barreyre est l’exemple type du félibre-ouvrier, dont l’engagement passa avant tout dans ses écrits. N’ayant pas le temps de prendre part aux grandes assemblées félibréennes, trop pauvre de son propre aveu pour se rendre à Maillane pour l’enterrement de Frédéric Mistral, c’est par son intense correspondance avec des félibres tels que Palay, Camélat, Salvat et d’autres qu’il se forge une conscience et une compétence « occitaniste » qui prolonge son attachement instinctif au pays et à la langue natals. Sa nature austère et secrète le tient relativement à l’écart, de même que son exil, et c’est essentiellement par correspondance qu’il se forme et travaille à améliorer sa graphie et sa langue, déjà naturelle. Il ne théorisait pas et il est difficile de savoir quelles étaient ses positions par rapport au fait occitan. Ses récompenses et son titre de Mèste en gai-saber attestent pourtant l’importance qui lui est reconnue de son vivant par ses pairs. Mais c’est son voisin Adrien Dupin (1896-1973), instituteur et félibre originaire de Gujan-Mestras, qu’il doit en grande partie sa notoriété. C’est lui qui obtient en 1954 de la municipalité d’Arès l’inauguration de la plaque commémorative sur sa maison natale et en 1956, préside à la réédition des Malineyres.
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