Élie Boirac (1810-1884) sort à peine des limbes de l’oubli, demeure à la veille de voir son oeuvre publiée. Boulanger dans le village girondin de Saint-Macaire, sur la rive droite de la Garonne, à 45 kilomètres en amont de Bordeaux, il ne le quitta que pour la sous-préfecture voisine de La Réole, située à une dizaine de kilomètres, et mourut dans son village. Auteur de plusieurs dizaines de textes, dont la moitié environ en occitan, pamphlétaire redoutable et polémiste sans pitié, chansonnier, farceur, il fut aussi un militant profondément engagé dans la cause républicaine, au coeur de la Restauration, de la monarchie de Juillet et du Second Empire, ce qui lui valut pas mal d’ennemis et quelques ennuis avec l’autorité, qu’il adorait braver. Gascon de théâtre, colosse à a voix de stentor, grand amateur de conquêtes, il s’engagea dans les combats du quotidien de son village, attaqua de front ses détracteurs et parvint généralement à ses fins. Mais ses pamphlets, chansons et saynètes, restés manuscrits quoique recopiés plusieurs fois, n’ont à ce jour jamais connu les honneurs de l’édition et fut oublié presque aussitôt qu’il mourut, à l’exception d’une consécration tardive et d’ailleurs ambiguë au début des années 1930.

Identité

Formes référentielles

Boirac, Élie (1810-1884)

Élements biografiques

Un poète benlèu tròp lengut (peut-être trop bavard)

Élie Boirac naquit le 5 janvier 1810 au Pian (aujourd’hui Pian-sur-Garonne) en Gironde, commune limitrophe de Saint-Macaire, de Pierre Boirac et de Catherine Marrot. Il mourut le 28 mars 1884 à Saint-Macaire. Boirac est donc l’exact contemporain du poète-boulanger marseillais d’expression occitane Victor Gelu (1806-1885)  avec lequel il est possible de lui trouver bien des traits communs. Comme le Marseillais, Boirac exerçait par tradition familiale la profession de boulanger, son père l’ayant été avant lui, dans la boutique familiale située au rez-de-chaussée d’une maison de la rue Yquem à Saint-Macaire, où une plaque commémorative (en français) a été apposée. Comme Gelu, Boirac fut un républicain convaincu. Profondément hostile à Napoléon III, Boirac fut le fondateur du Cercle républicain de Pian en 1848. Il en assura la direction en plein Second Empire de la période autoritaire, ce qui lui valut d’être condamné au bannissement de sa commune. L’anecdote raconte – transmise par tradition familiale – que Boirac « s’exila » dans la commune voisine du Pian, à une poignée de mètres de sa maison, juste de l’autre côté de la rue. L’anecdote est remarquable, et colle à ce que ses écrits nous donnent à voir de la personnalité de Boirac : un personnage truculent et brillant, maniant l’insolence et la provocation avec talent. Néanmoins, les sources identifiables par ailleurs semblent contredire sur certains aspects cette légende « boiraquienne ». En réalité, Boirac ne s’est donc pas contenté de s’exiler à deux pas de chez lui, chez ses cousins. Il s’est expatrié à La Réole, où il était domicilé en janvier ou février 1852. Il s’est par contre caché (« soustrait par la fuite ») à l’approche de la police bonapartiste, et cette « cavale » peut correspondre effectivement à l’époque où le « boulanger-poëte », comme il se qualifiait lui-même se réfugia dans la maison toute proche d’un sien parent. Il ne paraît plus devoir être inquiété, début 1852, puisque même sous surveillance de la police, il semble continuer d’être l’« agent actif de la propagande » républicaine auprès des Réolais, après l’avoir été auprès des Macariens et Piannais. Quant au Cercle républicain, fondé en mars 1848, il en fut effectivement membre et le resta tant qu’il fut autorisé par le pouvoir, mais rien ne dit qu’il l’ait dirigé.
D’Élie Boirac nous sont parvenus soixante-treize textes, chansons, saynètes, satires locales, poèmes, textes engagés, ainsi que plusieurs fragments, dont trente-cinq totalement ou partiellement en occitan, encore tous inédits. Retenons principalement quatre pamphlets en occitan, qui ont pour titre Rencountre (1842), Lou Tintamarre (1846), Lous trotoirs de Maouhargat (1865) la Riguedoundene et le Riguedoundoun (1868). Les trois premiers ont une portée strictement locale, communale, et sont moins politiques que satiriques contre des personnes nommément désignées (Boirac nommait toujours ses cibles par leurs noms).
Le pamphlet Lou Tintamarre, daté de 1846, n’est pas politique en apparence. C’est un règlement de compte que Boirac inflige à un nommé Chaigne, un habitant de Pian qui avait osé composer lui aussi des satires et notamment s’attaquer aux habitants de Saint-Macaire, dont il était pourtant originaire. Mais Boirac ne s’arrête pas à une satire locale clochemerlesque. Le texte se poursuit sous des aspects délirants d’épopée homérique ou virgilienne.
Boirac met en scène le combat, comme un Victor Hugo, un Tasse ou un Homère burlesque. Il déroule les phases de l’épopée de ces soldats de l’An II des coteaux macariens.
Dans les Trotoirs de Maouhargat, en 1865, Boirac évoque les aménagements urbains apportés à ce quartier de Saint-Macaire, dont le nom gascon signifie exactement « mal foutu », et qui vient à cette époque de recevoir des trottoirs, remplaçant l’ancienne chaussée boueuse à la saison des pluies.
Les pamphlet appelés Riguedoundene et Riguedoundoun se suivent et datent de la même année. La Riguedoundene est une attaque contre la fanrare locale, accusée de bonapartisme et d’agression sur l’orphéon municipal soutenu par Boirac. Le Riguedoundoun le chef-d’œuvre de Boirac, mais aussi sa dernière œuvre connue.  Âgé de cinquante-huit ans, le « boulanger-poëte » républicain voit le Second Empire toucher à sa fin. La petite ville est toujours administrée par le bonapartiste Étienne Ferbos, qui possède dans son conseil municipal un concurrent commercial direct de Boirac en la personne du boulanger Merle. Nous ne saurions dire si son engagement politique, son talent indéniable pour l’écrit polémique gascon, dans un village sans doute encore majoritairement occitanophone, ont porté tort à son négoce. Le gérant de l’histoire s’appelle Gilaresse, et ce n’est pas le seul nom que lui attribue Boirac. Globalement, le Riguedoundoun s’apparente à une suite d’insultes davantage qu’à une argumentation. Boirac semble trouver dans l’exercice une jubilation langagière qui le rapproche du genre recardèir bordelais et du Cadichoune et Mayan de Verdié, une de ses références identifiables. L’autre chapelet qui se rencontre dans le sonore pamphlet, c’est celui des noms. Car Boirac affectionne l’évocation sonore dans le choix de ses titres : le rigadondon, en occitan, se rapproche de l’idée de tintamarre, de charivari. Nous sommes proches ici de l’idée du chahut carnavalesque, jubilatoire et transgressif, et du riga-raga, la crécelle, l’instrument des charivaris, mais aussi des marginaux et particulièrement les plus rejetés d’entre eux, les lépreux.
Le Riguedoundoun est donc avant tout un règlement de comptes, avant d’être un cri du cœur d’un républicain.
Boirac tout entier tient dans une anecdote révélatrice à la fois du mode de fonctionnement du boulanger-poète et de ses opinions politiques sur le Second Empire. En 1852 fut démolie à Saint-Macaire une maison forte défensive du XIIIe siècle, ancienne Chambre de l’Édit du Parlement de Bordeaux, restaurée en 1600 et que l’on appelait dans le pays le Palais du Turon. A cette occasion, Boirac, qui faisait construire un mur mitoyen au chantier, y plaça dans une fiole de verre deux ou trois pièces de monnaie anciennes ramassées sur le site, et une lettre dénonçant la destruction du monument historique et fustigeant le plébiscite de Louis-Napoléon en vue d’être couronné empereur des Français. Le pamphlet accusait le prince et son oncle, le défunt empereur Napoléon Ier en des termes sanglants : « (le) plus grand Dévastateur et Despote que l’Enfer ait vomi sur la Terre...». Cette fiole fut découverte en 1907, vingt-trois ans après la mort du poète-boulanger, par des maçons chargés de démolir le mur que Boirac avait fait bâtir. Une tradition locale qui nous a été transmise par ses héritiers soupçonne Boirac d’avoir caché des fioles identiques un peu partout dans Saint-Macaire, dans des caches au creux des murs où elles seraient encore.

Engagement dans la renaissance d'oc

À distance des félibres : le Gelu de la Gironde ?

La figure d’Élie Boirac ne peut que faire penser à celle du tonitruant Gélu, lui aussi boulanger et lui aussi tribun. Comme Gelu, Boirac semble avoir possédé une très forte et remarquable personnalité s’illustra dans le pamphlet mais aussi dans la chanson. La comparaison s’arrête là, car si les œuvres du Marseillais sont bien connues, éditées et rééditées à maintes reprises, ce n’est qu’à l’état de bribes que nous sont parvenues celles de Boirac. Ce qui les unit encore, toutefois, est leur refus de s’intégrer aux mouvements de renaissance de la langue et de la culture occitanes de leur temps. Il convient cependant de signaler qu’au temps de Boirac, en Gironde et plus largement en Gascogne, aucun mouvement félibréen structuré n’existait. Si à Bordeaux, quelques figure locales comme l’abbé Arnaud Ferrand (1849-1910) et son entourage semble amorcer un rattachement aux idées félibréennes, il faudra attente la fin de la décennie 1880 et les années 1890 pour voir se dessiner l’embryon d’une école félibréenne en Lot-et-Garonne, autour de Charles Ratier, Victor Delbergé et Jasmin fils. La Gironde, elle, n’aura pas d’institution félibréenne avant le siècle suivant. Gelu connaissait les félibres et s’en méfiait. Boirac ne les a vraisemblablement pas connus, et en eût-il eu l’occasion, l’orientation idéologique de ces premiers félibres girondins se trouvait à l’opposé exact de la sienne : catholiques, de tendance royaliste et fortement antirépublicains. Boirac connaissait Jasmin au moins de réputation, l’ayant probablement entendu, et le cite à plusieurs reprises dans ses textes. Les sonorités du coiffeur agenais, son contemporain, se retrouvent parfois au détour d’un vers, mais là s’arrête le rapport entre les deux voisins de la Garonne. En revanche, Boirac puise abondamment dans l’univers bordelais de Meste Verdié (1779-1820) et de la littérature populaire recardèira en gascon pishadèir. Il reste néanmoins une figure isolée, dont l’absence d’édition de son vivant - et à ce jour - donne l’image d’un poète oublié, sans postérité. Selon l’habitude des félibres, Boirac fut toutefois célébré lors de la Félibrée de 1930 qui se tint à Saint-Macaire, et lui fut entièrement dédiée.



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