Cet ancien enseignant du premier degré, militant de l’école laïque, devenu cadre de l’Éducation nationale, a été l’un des principaux artisans du développement de l’enseignement du provençal dans les Bouches-du-Rhône à partir des années 1980, suite aux circulaires Savary.
Guiu Garnier
Guy Garnier est né à Salon en Provence le 3 juillet 1929, dans une famille modeste. Son père, après avoir été berger dans sa jeunesse, était devenu ouvrier à la poudrerie de Saint-Chamas. Ses grands- parents paternels étaient originaires des Hautes-Alpes : sa grand-mère était née à la Roche de Rame, et son grand-père, né à Marseille, avait aussi des origines haut-alpines. Ses grands-parents maternels étaient des paysans du village de Cornilhon-Confoux entre salon et l’étang de Berre, dont Guy Garnier conserve des souvenirs d’enfance, consignés dans l’ouvrage Un vilatjon quilhat sus son rocàs. De cette enfance rurale, il avait gardé une belle connaissance du travail de la terre et la passion de la culture des oliviers.
Il fut élève au cours complémentaire de Salon-de-Provence puis à l’École normale d’Aix où il suivit les cours de provençal du majoral Charles Rostaing.
IIl occupa son premier poste d’instituteur à La Barben en 1949, puis fut affecté successivement à Eyguière, Septème et Salon avant de devenir inspecteur de l’Éducation nationale, d’abord en Corse, à Sartène, de 1959 à 1963, puis, de 1963 à 1971, à Nyons, avant de revenir dans les Bouches-du- Rhône : quartiers nord de Marseille – 4 années au Canet, aux Aygalades, à Saint Louis… avant de revenir passer à Salon les quatorze dernières années de sa carrière et de prendre sa retraite en 1989. Au moment de son décès, il résidait à Pélissanne.
Syndiqué au SNI – Syndicat national des instituteurs, il était aussi Chevalier de la Légion d'Honneur, Officier des Palmes Académiques.
Guy Garnier était profondément attaché à l’école laïque et milita toute sa vie à la FAIL 13 – Fédération des amis de l’Instruction laïque, section des Bouches-du-Rhône de la Ligue de l’Enseignement, dont il était, au moment de son décès le 22 mai 2014, Président Honoraire. Il fut un de ceux qui impulsa l’adhésion de l’AELOC – association des enseignants d’occitan - à la FAIL, laquelle intervenait d’ailleurs régulièrement lors des manifestations publiques de l’AELOC – association des enseignants d’occitan. Dans cette visée éducative laïque, Guy Garnier occupa des responsabilités au sein de l’USEP, Union sportive de l'enseignement du premier degré, évoluant également au sein de la ligue de l'enseignement. Au moment de son décès, il était président honoraire de la Commission Nationale de l'USEP. Sa défense de l’enseignement de l’occitan se situait dans une visée plus large, celle de la défense du pluralisme des langues et des cultures qui allait de pair, pour lui, avec le respect des cultures d’origine des enfants, comme en témoigne une tribune que nous reproduisons en annexe et qu’il avait bien voulu donner à la FELCO en 2006 après la parution du rapport Bénisti qui ne craignait pas d’associer les risques de délinquance à la pratique des langues des familles d’immigrés.
Guy Garnier avait passé une partie de son enfance dans le village de ses grands-parents maternels, les Aime, et tenait de cette enfance rurale une pratique parfaite d’un occitan naturel.
Peu de temps après son affectation comme Inspecteur de l’Éducation nationale à Salon, allait débuter, sous sa coordination, l’aventure des centres d’enseignement renforcés d’enseignement du provençal, un compromis entre une simple initiation – pratiquée depuis un certain temps dans les Bouches-du-Rhône grâce à des pionniers comme Marie-Rose et Yves Poggio – et le bilinguisme à parité horaire, dont l’expérimentation serait permise que par les circulaires Savary de 1982. Les centres d’enseignement renforcé, devenus ensuite « d’enseignement continu » 1 offraient un enseignement de 3 heures auquel avaient droit tous les enfants de l’école concernée. Cette aventure fut permise par un accord entre les autorités académiques – je pense entre autres à l’inspectrice d’Académie Sonia Henrich – et le Syndicat National des Instituteurs – SNI – des Bouches du Rhône dont étaient également membres d’autres pionniers de l’aventure comme Guy Agnese. Guy Garnier s’exprime à ce sujet dans un entretien accordé en 2014 à Michel Neumuller du journal Aquò d’aquí, où il retrace sa vie d’engagement :
Mai, en veritat, es lo Sindicat Naciounau deis Institutors dei Bocas dau Ròse, alòr unica organisacion, qu’es vengut me querre. Lei sindicalistas cercavon un inspector que podiá engimbrar quauqua ren en provençau.
Mais, en vérité, c’est le Syndicat National des Instituteurs des Bouches-du-Rhône, alors unique organisation, qui est venu me chercher. Les syndicalistes cherchaient un inspecteur qui pouvait mettre en œuvre quelque chose en provençal.
Bien entendu, l’association des enseignants d’occitan de l’académie, l’AELOC, membre de la FELCO, surtout implantée dans les Bouches-du-Rhône, accompagnait et encadrait le processus. Guy Garnier était présent dans le colloque organisé tous les deux ans par l’AELOC où intervenaient autorités de l’Éducation nationale, associations d’enseignants, et, bien entendu la FAIL. Lorsqu’il y prenait la parole, c’était toujours pour mettre en évidence la corrélation entre ses convictions laïques et son attachement à l’enseignement de la langue. Il fut d’ailleurs à l’origine, en 2005, d’une motion de la FAIL 13 au sujet des langues de France, portée au congrès national de Lorient où elle fut adoptée à la quasi-unanimité.
Il était également un affamé de savoir, et tout en ayant une maîtrise parfaite de la langue, il participait régulièrement aux Rescontres occitans de Provença dont il suivait les formations avec passion et discipline.
S’il avait adopté la graphie classique occitane dans sa forme provençale telle que normalisée par les Robert Lafont et autre Guy Martin, il ne manifestait aucun sectarisme envers la tradition mistralienne également implantée en Provence. Sa rigueur et cet appétit d’apprendre lui valaient d’écrire une langue très sûre, dont la graphie est excellement maîtrisée, comme en témoignent les deux ouvrages dont il a confié l’édition à l’AELOC, l’AELOC pour laquelle il avait également traduit en occitan provençal un album pour les enfants. C’est grâce à partir de cette langue très sûre qu’il corrigeait volontiers les épreuves du journal Aquò d’aquí pour lequel il rédigeait également des articles.
Les deux ouvrages écrits par lui se penchent sans complaisance ni excès de nostalgie sur une enfance qui lui avait valu de connaître une pratique vivante de l’occitan à laquelle il devait un vocabulaire très sûr (complété ensuite par le goût de la lecture et de l’étude), mais aussi, chose de plus en plus rare, une syntaxe naturellement occitane.
Il sacrifia, comme tant d’autres au besoin de l’écriture autobiographique et au retour sur les usages oraux de la langue. Un vilatjon quilhat sus son rocàs, dédicacé « a mei grands, lo Patin e la Patina » évoque le Cornilhon de son enfance, ses usages familiaux, économiques et sociaux présentés à travers 21 chapitres thématiques. Barjadisses est un recueil d’histoires amusantes où l’auteur fait preuve de son talent de diseur, de son humour, mais aussi de ses connaissances théoriques par rapport à la littérature narrative. Voici comment il les présente, dans le texte introductif intitulé par la très occitane formule « Barjaca que barjacaràs » :
Es au lavador que, ritmats per lo bruch dei bacèus, resclantissián lei ressòns de la vida de totei lei jorns e que leis istòrias prenián sa color e sa forma vertadièras. Es aquí que conquistavan sa realitat, per tot dire sa veritat. Es a l’entorn dau potz ò de la fònt que lei gents ordinaris de la vida venián de personatges.
C’est au lavoir que, rythmés par le bruit des battoirs, retentissaient les échos de la vie de tous les jours et que les histoires prenaient leur couleur et leur forme véritables. C’est là qu’ils conquerraient leur réalité, pour tout dire leur vérité. C’est autour du puits ou de la fontaine que les gens de la vie ordinaire devenaient des personnages.
Assortis d’un lexique, les deux ouvrages témoignent des préoccupations pédagogiques de l’auteur : donner à lire une belle langue et faire connaître aux enfants du XXI e siècle la vie de leurs grands- parents et renouer ainsi le fil des générations.
PELISSANNE - SALON-DE-PROVENCE – MARSEILLE Christian GARNIER, son épouse, Maria Ardila Osorio et leurs enfants, Alain GARNIER, Denis(+) et Janine GARNIER et leurs enfants, Charles et Ginette AIME et leurs enfants, Yvan et Monique GARNIER et leur enfant, André et Monique CAMPO et leurs enfants, Les familles CARAYON et CHAZE, Parents et alliés, vous font part du décès de M. Guy GARNIER, Chevalier de la Légion d'Honneur, Officier des Palmes Académiques, Président Honoraire de la FAIL des BDR, Président honoraire de la Commission Nationale de l'USEP, Président d'Honneur de l'AELOC survenu à l'âge de 84 ans Ils rappellent le souvenir de Christiane GARNIER née CHAZE, son épouse. Rendez-vous à la chambre funéraire du cimetière des Manières mercredi 28 mai 2014, à 14h15 à Salon-de- Provence, suivi de la cérémonie civile au crématorium d'Aix-les-Milles à 15h30.
Decès de Guiu GARNIER, présidènt d'onor de l'AELOC Nòstre amic Guiu GARNIER es decedat a l'espitau de Selon lo Dijòus 22 de Mai a l'agi de 84 ans. Naissut a Selon dins una familha modèsta, Guiu avié passat una part de son enfanci pròchi de sei grands dins lo vilagi de Cornilhon. D'aquì li venié la pratica d'un provençau d'una perfeta autenticitat. Mèstre d'escòla, puei ispeitor de l'Educacien Nacionala, a Nions, Marselha e Selon, siguèt lo promier responsable de l'ensenhament de l'occitan dins lo despartament dei Bocas dau Ròse. Siguè à l'óurigino dóu chantié que permetè puei la creacien deis escolo semi-bilengo dicho "Centre d'ensegnamen countinu de la lengo regiounalo" e deis escolo bilengo óucitan-francés. Siguè tambèn un dei foundatour de l'AELOC, que n'en siguè de longo amenistratour jusqu'à tant que n'en siguèsse elegi presidènt d'ounour. Fourtamen engaja dins lou mouvamen laïque, assegurè tambèn la presidènci de l'Unien Espourtivo de l'Ensegnamen Primàri. Guiu a fisat a l'AELOC la publicacien de doas de seis òbras occitanas : un recuelh de novèlas, Barjadissas, e sa darniera òbra, un libre de sovenirs d'enfança, Un vilatjon quilhat sus son rocàs. Guiu Garnier a suscita l'estimo unanimo de tout'aquélei que l'an aproucha, tant dins sei founcien proufessiounalo que dins seis engajamen assouciatiéu. Dins soun ensignamen, mau-grat sa chausido persounalo en favour de la tradicien óucitanisto, a totjorn fa la provo d'uno toutalo douberturo à la tradicien mistralenco. Lo decès de Guiu Garnier es una pèrta irreparabla pèr la defènsa de la lenga. Leis òussèquis de Guiu GARNIER si debanaran au Crematorium dei Mielas as Ais de Provènça, 2370 carriera Claude-Nicolas Ledoux, 13290 Aix-Les-Milles, Tél: 04 42 60 39 03, lo dimècres 28 de Mai a 15 oras 30.
Le 18 octobre 2014, une soirée pour présenter le dernier livre de Guy Garnier, Un vilatjon quilhat sus son rocàs, s’est déroulée au CEP d’Oc à Aix en Provence. Nous avons déjà eu l'occasion de faire connaître cet ouvrage, qui est peut-être le plus remarquable parmi tous ceux que notre président d'honneur a donné à l’AELOC pour l'édition et la diffusion.
Le public a ainsi pu découvrir, grâce à la lecture de quelques passages choisis, l'évocation du village dans lequel l'auteur passa son enfance, chez ses grands-parents. Nous apprendrons, grâce aux magnifiques photographies qui l'agrémentent, qu'il s'agit de Cornillon, surplombant la Crau et l'Etang de Berre. La vie aux alentours de la guerre de quarante s'offre ainsi à notre regard, à travers les yeux d'un enfant qui en explore les sensations, les aventures, les joies et les peines de la vie. Beaucoup d'émotion, de sympathie pour les gens du village, mais pas de nostalgie. Guy connaît la dureté du quotidien qu'ont vécu les habitants en ce temps-là, et il ne se fait pas le chantre des siècles passés. Mais il sait aussi qu'au nom du progrès, des trésors ont été détruits, à commencer par la langue, et que rien ne peut justifier le fait d'avoir fait taire la parole d'un peuple.
Par la grâce de l’image, Jean-Pierre Belmon, qui préside à présent le CEP d’Oc en succédant à Marc Audibert, replaçait Guy dans son environnement d’origine, et lui faisait dire la genèse de l'ouvrage. Il a pu ensuite lui-même la rappeler directement, et évoquer ses intentions, ainsi que la place que son expérience de jeunesse a tenu dans sa vie.
La soirée s'acheva avec la belle prestation du groupe du Terralhet, qui nous donna un aperçu de son nouveau spectacle Amontanhatge, avec l’interprétation de deux chansons de Charlon Riéu, Moun Sant Miquèu et A la gardo dóu troupèu, la segonde mise en musique par Jean-Pierre Reynaud, ainsi qu'un chant traditionnel de la Vésubie, La Pastressa. Ce spectacle sera donné le 16 Novembre à la Farlède (83) et le 23 à Auriol (13).
Il fut inspecteur de l'enseignement primaire (IDEN), dans la Drôme, en Corse, à Marseille, dans le Pays de Salon. Dans les Bouches-du-Rhône (au moins) il fut un IDEN très apprécié, et très respecté pour ses compétences pédagogiques et ses contacts toujours chaleureux avec les enseignants. Personnellement je n'ai connu personne qui ne fut pas de cet avis.
À la Ligue de l'enseignement où il exerça la fonction de Président de l'USEP (j’ignore les dates), et de Président de la FAIL (probablement toute la décennie des années 80), il fut d'un engagement total, très apprécié pour ses interventions toujours fermes, et claires.
Il participa aux réflexions nationales de l'USEP, et fournit une grosse part des éléments qui ont permis d'écrire l'histoire de l'USEP, mais, d'après mes souvenirs, il fut étonné de ne pas être tenu au courant de la conclusion de ces travaux et de l'ouvrage qui en fut issu.
Militant laïque, de l’École publique il s'interrogeait sur la contradiction École publique / Calandreta. Il a plusieurs fois abordé cette question avec moi, et manifestement souffrait autant que moi de cette aporie.
En 2005 (date probable mais que je n'ai pas les moyens de vérifier), il me soutint lorsque j'ai présenté à un Congrès départemental des Bouches-du-Rhône, puis au Congrès national de la Ligue, la motion de défense des langues régionales, qui fut adoptée, à une assez large majorité, après un débat assez tumultueux, certains départements voyant dans cette motion une atteinte à l'unité nationale …/p>
Voici les dates où je retrouve dans mes propres notes et les CR de réunions, des traces de son activité au sein de la Ligue, mais la FAIL 13 malgré ses promesses ne m'a jamais donné plus de renseignements me permettant de préciser les dates de ses engagements et éventuellement d'autres activités (et je sais qu'il en a eu de nombreuses). Toutes les personnes qui l'ont connu m'ont confirmé combien Guy avait compté pour elles, toutes sans exception m'ont dit qu'elles l'avaient énormément apprécié et regretté. Aucune ne m'a fourni de dates ou des faits qui pourraient contribuer à une biographie qui ne fût pas que mémorielle, ce que je regrette.
Défenseur convaincu de « sa » langue qu'il parlait et écrivait parfaitement, il était le promoteur actif du journal Aquo d'aqui auquel il contribua entre autres par de nombreux articles. Tous ceux à qui je les ai communiqués m'ont toujours dit le plaisir qu'ils avaient à lire sa prose. Dans un texte ci-joint, un entretien paru si je me souviens bien dans le journal Aquo d’aqui, il dit lui-même dans quelles conditions il fut à l’origine de la prise en compte par l’institution académique avec le soutien du SNI (devenu depuis SNUIpp) des cours de langue régionale, et comment il fut à l’origine de la création de l’AELOC.
Les deux livres que je connais de lui ont toujours ravi ceux à qui je les ai fait connaître. Tous appréciaient son provençal limpide, chaleureux, sans passéisme.
Je sais que, retraité, il a assuré de nombreuses années des cours d'occitan aux écoliers de Cazan (commune de Vernègues, 13), et je crois savoir qu'il fit de même à Pelissanne ou à Salon (vague souvenir personnel, lors d'une visite que je lui fis quand il fut hospitalisé à La Fare (?) après un incident cardiaque.
Guy n'était pas de ceux qui se mettent en avant, se considérant plutôt comme simple militant de base alors qu'on savait qu'on pouvait toujours compter sur lui.
Frédéric-Joseph-Etienne (état civil) Frédéric Mistral, Frederi Mistral, Mistrau. Prononciation maillanaise héritée [mistR'ä]. Pseudonymes : Ambròsi Boufarèu, Felibre dou Mas, Felbre de Bello Visto, Mestre Franc, Gui de Mountpavoun, Cascarelet, Felibre Calu, Un Maianen, Cousinié Macàri, Michèu Gai, F. M....
Né le 8 septembre 1830 à Maillane ( Bouches du Rhône), mort à Maillane le 25 mars 1914. Fils de François Mistral (1771-1855) et Adélaïde Poullinet (1803-1883). Epoux de Marie Rivière (1857-1943), sans postérité légitime.
Son père est « ménager », paysan propriétaire aisé (une vingtaine d'hectares). Fils cadet, et d'un second lit, Mistral devra compter, au décès de son père, avec ses cohéritiers, son demi- frère Louis et les enfants de sa demi-sœur Marie. Il est donc tôt orienté vers des études susceptibles de lui fournir une profession hors agriculture, études couronnées par un baccalauréat (1847) et une licence en droit obtenue à Aix en Provence (1851). Mais son statut social jusqu'à sa mort est celui d'un rentier vivant du revenu des terres dont il a hérité (dans une zone de cultures maraichères orientées vers le marché national, ce qui n'est pas rien), de ses droits d'auteur (réguliers, au moins pour Mirèio), et de ses prix littéraires, souvent réinvestis au service de la cause félibréenne.
Son implication dans la vie politique se limite à sa participation régulière au conseil municipal de Maillane, sa commune de résidence (même s'il ne manque aucune occasion de s'en éloigner pour des voyages plus ou moins lointains, contrairement au cliché de l'homme enraciné courant chez ses biographes). Il s'est toujours refusé à se présenter à d'autres élections, bien qu'ayant été plusieurs fois sollicité, à droite comme à gauche. Quant à ses opinions politiques, elles sont variables, c'est le moins qu'on puisse dire : républicain « avancé » en 1848 et au cours de ses études à Aix, il est séduit par le bonapartiste « libéral » Emile Ollivier en 1869 avant de l'être par le Prétendant Henri V, puis par le Général Boulanger. Sollicité par Charles Maurras, il adhère en 1899 à la Ligue de la Patrie Française et le regrette assez vite. Le seul point commun entre ces sympathies successives, c'est qu'il s'agit à chaque fois d'un parti ou d'un homme politique qui parle de décentralisation – et comme tous les partis, à un moment ou à un autre en parlent – du moins quand ils ne sont pas au pouvoir...
L'importance de cette action est proprement incalculable. Il s'agit bel et bien pour lui de l'engagement de toute une vie aussi bien au service de l'écriture que de la langue d'oc, sa langue maternelle (l'idée qu'il ait « fini par penser en provençal », comme s'il avait préalablement appris à penser en français est largement contestable, quoique due au linguiste Albert Dauzat).
Ses premiers essais écrits en cette langue sont précoces (pré-adolescence), et, si à un moment, vers vingt ans, il s'essaie à la poésie en français (en particulier, mais pas seulement, pour des poèmes politiques), il y renonce assez vite. En dehors de quelques vers que cite Roumanille dans son premier recueil Li Margarideto de 1847, on peut considérer que Mistral publie ses premiers poèmes en oc dans le journal La Commune (Avignon) en 1851, puis dans le recueil collectif Li Prouvençalo de 1852, dans lequel figurent par ailleurs la plupart de ceux qui deux ans plus tard vont fonder le Félibrige, le 21 mai 1854 selon le récit popularisé depuis. Il s'agit en fait de l'aboutissement d'un processus entamé auparavant, et de la formalisation de l'existence d'un groupe de jeunes écrivains d'oc regroupés autour de Roumanille ; Mistral est dès le départ le co-animateur de ce groupe : c'est avec son aide que Roumanille met définitivement au point une orthographe nouvelle pour le provençal, non sans débats assez âpres avec un Mistral qui dès le départ manifeste une connaissance de la langue et de l'histoire de sa littérature assez profonde. Parallèlement à la rédaction de son premier grand poème Mirèio (si on ne compte pas l'essai représenté par Li meissoun de 1848, publiées bien plus tard) Mistral intervient de façon intensive, par ses propres œuvres comme par ses corrections des textes des autres dans les premiers Armana Prouvençau (dès celui pour l'année 1855), destinés à publier régulièrement et à faire connaître les productions de la nouvelle école.
Mais à ses débuts, le Félibrige n'est guère plus qu'un petit cénacle avignonnais, pesant peu face aux Troubaires marseillais par exemple. Tout change en 1859, quand paraît Mirèio. Mirèio correspond à un double pari de Mistral. D'abord affirmer la capacité de la langue d'oc à affronter tous les registres, en produisant un poème de douze chants placé sus le signe d'Homère, en rupture avec le ton familier et « populaire » affecté jusque-là par la plupart des écrivains d'oc de son temps, Jasmin compris. Poème accompagné de notes copieuses dont une qui constitue un véritable manifeste faisant de la littérature provençale telle que la voit l'auteur l'outil du renouveau de la littérature française dans son ensemble. Second pari, lié au précédent : sortir du seul cadre provincial (perçu par Mistral comme étriqué et suiviste) pour obtenir une reconnaissance parisienne, puisque c'est à Paris que se font les réputations littéraires. En apparence, le pari est gagné : salué par Lamartine et une bonne partie de la critique nationale, le poème connaît un grand succès sanctionné par plusieurs rééditions parisiennes les années suivantes (quatre entre 1860 et 1870). Succès qui masque en réalité le fait que pour les critiques, le poème vaut par son côté « charmant, rustique » pour reprendre les adjectifs les plus utilisés, et pittoresque, et se voit utilisé contre les nouvelles tendances littéraires du temps (notamment Baudelaire). Par ailleurs, le choix linguistique de Mistral n'est absolument pas compris, et personne ne croit vraiment qu'il puisse exister une littérature provençale valant la peine d'être lue. De fait, si Mistral encourage ses amis -Aubanel, Roumieux... à profiter de son succès pour lancer leurs propres ouvrages, leur écho est infiniment moindre, ce qui constitue un premier mauvais signe. Certes, sur place, l'effet Mirèio permet au Félibrige de faire un certain nombre de recrues, en Provence comme en Languedoc oriental.
Face à cet élargissement géographique, il faut bien que le Félibrige, jusque-là groupe informel de jeunes amis, se structure un peu mieux. C'est Mistral qui élabore les premiers statuts en 1862, afin de fournir cette structure, et permettre l'essor d'une littérature d'oc dont il estime possible l'intégration sans problème au champ littéraire national. Ces premiers statuts, très restrictifs (cinquante « félibres » cooptés à vie) et bâtis sur le modèle de l'Institut de France avec des sections spécialisées (poésie, sciences, arts, histoire...) ont l'ambition de servir de point de ralliement à tous les intellectuels et artistes du Midi de la France -fort peu en réalité se montrent intéressés, ce qui est aussi un mauvais signe. Le début des années 1860 est aussi le moment de la rencontre avec la Renaixença catalane, notamment le poète, historien et militant politique « libéral » Victor Balaguer. Ces contacts amènent Mistral à envisager la possibilité d'un élargissement de l'action du Félibrige, en passant de la simple revendication linguistique et littéraire à une revendication plus directement politique, autour du thème du fédéralisme -un fédéralisme que Mistral envisage à l'échelle européenne -moyen de dépasser le clivage nord-sud interne à la France. Cela dit, les contours de ce fédéralisme restent flous, et exprimés surtout dans des correspondances avec des interlocuteurs choisis (et rares), ou dans des poèmes allégoriques. En 1864, l'opéra Mireille de Gounod réveille l'intérêt parisien pour Mistral, qui peut donc continuer à croire au succès de sa stratégie.
Le réveil sera brutal : en 1867 Mistral repart pour Paris avec son second poème, Calendau, qui se veut d'une certaine manière une épopée « nationale », mettant en scène un jeune homme du peuple libérant une princesse opprimée, sur fond de description de la Provence intérieure, et à grand renfort, là encore, de notes érudites constituant une sorte de manuel de culture provençale. À peu près au même moment, il publie aussi un poème court, « la Coumtesso », allégorie dans laquelle une comtesse (la Provence) est enfermée dans un couvent par sa méchante sœur. Mais un jour, les jeunes vaillants du pays viendront délivrer la prisonnière, et pendre l'abbesse (pas la méchante sœur) aux grilles de son couvent. Or, l'accueil des critiques est plutôt froid. En dehors du fait qu’'ils ne comprennent toujours pas pourquoi Mistral n'écrit pas en français, certains d'entre eux (ceux qui ont entendu parler de la Coumtesso, comme Zola) croient discerner dans ses vers des pensées dangereuses pour l'unité nationale. En 1868, un ouvrage d'un ex-ami de Mistral, Eugène Garcin, Français du Nord et du Midi, confirme cette impression en accusant tout bonnement Mistral de tentations séparatistes (et, par ailleurs, réactionnaires). L'échec de Calendau (qui ne sera réédité que vingt ans plus tard) et cette polémique prennent Mistral au dépourvu.
S'il entrevoit, après coup, ce qu'ont été les limites de son succès de 1859, il ne voit pas que ses idées politiques supposées, bien vagues de toute façon, sont manipulées dans un débat interne à la gauche républicaine. Ce débat, assez vif sous le Second Empire, oppose ceux qui considèrent que la République doit centraliser face au péril de dissidences locales de type vendéen, et ceux qui considèrent au contraire que la centralisation dite « jacobine », n'est rien d'autre que le retour au cœur du processus révolutionnaire d'un héritage d'Ancien Régime recyclé au profit de la bourgeoisie (c'est la position de Quinet et de son disciple, Xavier de Ricard, qui la défendra dix ans plus tard à l'intérieur du Félibrige « rouge »). Mistral peut être un temps rassuré par le développement des rapports avec les catalanistes, qui l'invitent à Barcelone en mai 1868 avant d'envoyer une délégation aux grandes fêtes de Saint-Rémy en septembre, mais une révolution en Espagne (automne 68), suivie de troubles assez graves aboutit à ce que ces rapports se distendent, laissant le Maillanais seul avec ses déceptions, renforcées encore par des problèmes intimes. Politiquement, il met un temps ses espoirs dans le dernier premier ministre de Napoléon III, le Marseillais Emile Ollivier, ex-républicain devenu bonapartiste « libéral » qui annonce des réformes décentralisatrices. La guerre de 1870, puis la Commune, accentuent le virage à droite de Mistral, qui se prend alors à espérer, comme son ami Roumanille, une restauration monarchique, qui, croit-il, amènerait le retour aux vieilles provinces.
Durant ces années de désarroi confinant à la dépression, sa production littéraire est au plus bas, seule l'élaboration de son dictionnaire le mobilisant encore un peu (Le Tresor dou Felibrige commence à paraître en fascicules à partir de 1878). Mistral reprend pied peu à peu, cependant. Il participe activement à un certain nombre de grandes fêtes couplées avec des concours littéraires en langue d'oc (Cinquième centenaire de la mort de Pétrarque en 1874, inauguration de la chapelle à Notre-Dame de Provence à Forcalquier, et concours de philologie de la Société pour l'Étude des langues romanes de Montpellier en 1875). La même année paraît la première édition de son recueil lyrique Lis Isclo d'or. En 1876, il se marie, quelques mois après avoir doté le Félibrige de ses seconds statuts, correspondant en gros à ceux actuellement en vigueur. Plus question de bâtir une académie à l'échelle de l'ensemble de l'intelligentsia méridionale : si subsiste un Consistoire de cinquante Majoraux couronné par un Capoulié (Mistral jusqu'en 1888), l'accent est mis désormais sur le recrutement de manteneires, autrement dit de sympathisants de la cause de la langue, faisant surtout office de figurants souvent éphémères... Si, dans une France en proie au repli nationaliste il n'est plus question de parler d'un fédéralisme européen qui donnerait une place à la Nation provençale, Mistral se rabat sur une Idée Latine prônant l'union, autour de la France (et de son Midi) des grands peuples « romans » du sud de l'Europe : les grandes Fêtes Latines organisées à Montpellier (par les félibres de la Société pour l'Etude des langues romanes) en 1878 voient ainsi couronné un poète roumain, Vasile Alecsandri, qui se trouve être par ailleurs un homme politique important dans son pays. Cela n'ira au demeurant jamais bien loin. Et à peu près au même moment, une grave crise interne au Félibrige combinée à de nouvelles accusations de séparatisme dans la presse républicaine parisienne (cachant en fait une simple dénonciation des amitiés monarchistes des leaders du Félibrige) amène Mistral, une nouvelle fois, à en rabattre sur ses ambitions.
Mistral se concentre alors d'une part sur la direction du Félibrige, avec un travail énorme de gestion des conflits, mais aussi de correction des textes proposés à publication (dans l'Armana Prouvençau par exemple) et, d'autre part, sur sa propre production. Une seconde édition des Isclo d'or paraît en 1878, puis une troisième, à Paris chez Lemerre en 1889. Entretemps, Mistral a publié sa nouvelle Nerto en 1884. Viendront ensuite la tragédie La Reino Jano en 1890 (seul essai de Mistral dans le domaine du théâtre, peu concluant), Lou Pouemo dou Rose en 1897, un recueil des discours de Mistral en 1906 (Discours e dicho), la même année que Moun Espelido, Memòri e raconte, les « mémoires » du poète, puis en 1910 la traduction de La Genèsi, reprenant des fragments publiés au fil des ans dans l'Armana Prouvençau, et enfin, en 1912, son dernier recueil lyrique, Lis Oulivado (1912). Seront publiés après sa mort trois recueils de Proso d'Armana et un récit de voyage en prose, Escourregudo en Itàli, écrit, nous dit-on, en collaboration avec son épouse. D'autres inédits, notamment des correspondances avec divers acteurs de la renaissance d'oc ont été publiés par la suite, sans épuiser la matière. Parallèlement, Mistral se consacre à la mise en place des collections ethnographiques du Museon Arlaten.
Si ses dernières années le voient recevoir le demi prix Nobel de littérature de 1904, et être l'objet de célébrations multiples (cinquantenaire du Félibrige en 1904, cinquantenaire de Mirèio en 1909, visite du Président de la République Poincaré en 1913...), sur fond d'un véritable culte de la personnalité orchestré par ses disciples, tout cela ne l'empêche pas de constater la difficulté du Félibrige à trouver en son sein une personnalité capable de lui succéder. Il peut bien faire figure de patriarche « olympien », objet de visites presque touristiques à Maillane et sujet de nombreuses représentations artistiques de plus ou moins bon goût dont lui-même riait parfois volontiers, il est permis de penser que sa déception a été grande, face aux limites de la progression du Félibrige et, au-delà, de la renaissance d'oc dans les domaines qu'il percevait comme prioritaires : la diffusion d'une littérature d'oc ambitieuse et de qualité, la reconnaissance de la langue à l'école, sans parler de la cause de la décentralisation.
À sa mort en 1914, quelques mois avant le déclenchement de la première guerre mondiale, commence le temps de sa postérité. Le Félibrige entretient le culte de son père fondateur jusqu'à aujourd'hui, de commémoration en commémoration (centenaire de la naissance en 1930, centenaire du Félibrige en 1954, centenaire de Mirèio en 1959, anniversaires de sa naissance et de sa mort chaque année...). De nombreuses rues et avenues du Midi portent son nom. La bibliographie qui lui est consacrée est immense, quoique de qualité très inégale : il faut attendre les années 50 pour voir vraiment apparaître les premiers travaux critiques dépassant le niveau des « biographies » pittoresques, ou des récupérations politiques (maurrassiennes puis vichistes notamment). Si son œuvre reste largement ignorée des spécialistes de littérature française, qui poursuivent dans la voie ouverte par leurs prédécesseurs les critiques myopes du XIXe, cette œuvre est régulièrement rééditée et trouve ainsi de nouveaux lecteurs. Au-delà des clichés, et du respect machinal dû au personnage, il reste à la redécouvrir, dans sa richesse et sa complexité.
Les correspondances reçues par Mistral sont conservées au musée de Maillane ; mais un certain nombre de ses lettres et de celles qu'il a pu recevoir ont été recueillies au musée du Roure, à Avignon. Certaines de ses correspondances, (avec les acteurs les plus importants) ont été publiées, mais il reste du travail...
Un premier point a été fait par Edmond Lefèvre en 1903 : Frédéric Mistral, Bibliographie sommaire de ses œuvres, Marseille, Idèio Prouvençalo, 1903. Contient aussi les références de tous les livres, brochures, articles... consacrés à Mistral (154 p.). Complété en 1969 par Georges Place, bibliographe reconnu de la littérature française : Frédéric Mistral, Paris, Editions de la Chronique des Lettres Françaises (157 pp.).
Là encore, on a affaire à une masse considérable, de qualité très inégale. Quelques pistes, classées chronologiquement :
Martin, Guy (1933-2008)
- Guiu Martin (forme occitane du nom)
Né le 17 décembre 1933 à La Ciotat (Bouches-du-Rhône), mort à La Ciotat le 26 mai 2008, il est issu d’une famille ciotadenne et marseillaise qui compte des ascendants génois et vendéens, mais aussi alpins (Faucon de Barcelonnette). Son père intègre la marine marchande comme mousse puis, par formations et promotions successives, exerce la profession de chef de cuisine et ensuite d’intendant sur les paquebots des grandes lignes. Sa mère entretenait de forts rapports amicaux avec la petite fille du chansonnier et écrivain marseillais Victor Gelu dont les descendants possédaient une villa aux Lecques (commune de Saint-Cyr-sur-Mer attenant à celle de La Ciotat).
Enfant durant la guerre, il suit ses parents qui se réfugient dans le village contigu de Ceyreste, après des bombardements destructeurs sur La Ciotat. Après l’école primaire et le cours complémentaire locaux, il intègre l’école normale d’Aix-en-Provence. En 1962, mobilisé en Algérie, il est un témoin actif qui prend part au refus du contingent de suivre les généraux putschistes. Il exerce en début de carrière dans l’enseignement primaire dans son département d’origine puis, une fois certifié d’histoire-géographie, il entre dans le secondaire. Cependant, comme il l’a souligné à plusieurs reprises, il sacrifie le développement d’une carrière universitaire à l’enracinement local et à la volonté du vieure au païs. Ainsi exerce-t-il ses fonctions dans quelques postes du Var et des Bouches-du-Rhône, dont La Ciotat et Aubagne. Par la suite, il dispense également des cours pour les étudiants des universités de l’académie d’Aix-Marseille. Par choix délibéré sa vie professionnelle et familiale se déroule à La Ciotat où se trouve sa résidence principale, puis à Vachères (Alpes de Haute-Provence) durant les périodes de congé, village où, avec sa femme Suzanne, elle-même enseignante, ils ont acquis une résidence secondaire dans le cœur du vieux village. Il avoue, parallèlement à son attachement profond à son canton maritime de naissance, une passion pour le haut-pays dont il rappelle que certains de ses ancêtres provençaux sont descendus cf supra, Faucon de Barcelonnette). Ainsi peut-il embrasser, à travers sa lignée et ses lieux de résidence, la diversité complémentaire de l’espace régional.
Dès sa scolarité en École normale (fin des années quarante – début des années cinquante) il manifeste son intérêt pour la langue et la culture provençales, ce qui l’amène à rejoindre le groupe du Calèn de Marsiho, encore affilié au Félibrige et à se lier d’amitié avec le poète marseillais Jòrgi Reboul, Glaudi Barsotti et Lucienne Porte-Marrou, liens qui ne devaient jamais se rompre. Les évolutions sociale, politique, économique et les conservatismes institutionnels l’amènent par la suite à s’engager dans la voie d’un occitanisme toujours tempéré par le souci d’affirmer et de préserver les spécificités de toutes les parties du grand espace d’oc. Il rencontre Robert Lafont, devient un de ses collaborateurs et mène avec lui des réflexions communes en matière économique, d’aménagement du territoire et institutionnelle qui illustrent son engagement et le rôle important qu’il joue dans le nouvel occitanisme des années 60 et suivantes.
Son attachement particulier à la Haute-Provence, complémentaire et non oppositionnel à celui de la Basse-Provence, l’amène à soutenir le développement culturel local, illustration contemporaine de la très ancienne dialectique autura-baissa qu’il a toujours aimé à souligner tout au long de sa vie.
C’est à ce titre qu’il s’engage notamment très tôt dans la défense du milieu contre l’implantation des fusées sur le plateau d’Albion, contre le tracé actuel de l’autoroute B 52 (il existe dans les archives de l’INA un reportage des actualités régionales dans lequel il intervient en sa qualité de géographe pour proposer un tracé alternatif1), contre l’extension du camp militaire de Canjuers.
Très sensibilisé à la cause du catalanisme, il soutient sans relâche les activités du cercle catalan de Marseille, présidé par un opposant résolu au régime franquiste, Francesc Panyella, dont il est l’ami. Son intérêt se manifeste également par l’étude de la langue et de la culture catalanes.
Il participera de façon très active à divers travaux et actions qui aboutiront à fédérer au niveau local les forces qui porteront François Mitterrand à la présidence de la République. Selon le site laregionoccitanie.fr il aurait été « la cheville ouvrière » dans l’élaboration de projets de lois en faveur de l’enseignement des langues de France2. Plus tard, son régionalisme convaincu le portera à être un des fondateurs et le premier président du mouvement « Région Provence », organisation militante dont l’objectif statutairement affiché est de « faire entendre la voix de la Provence dans le débat politique » et d’œuvrer pour « une véritable régionalisation ».
Il ne ménage pas non plus son soutien continu au monde associatif.
Détenteur d’une somme considérable de connaissances spécialisées et reconnu pour ses compétences d’analyste pointu des réalités régionales, il fait preuve au quotidien de ses qualités pédagogiques dans les trois niveaux d’enseignement institutionnels (primaire, secondaire et supérieur), auxquels il convient d’ajouter sa participation à des sessions de formation continue à destination de fonctionnaires ayant besoin d’un éclairage affiné sur l’histoire et le territoire régionaux et enfin à des interventions et à des conférences dans les cadres institutionnel, associatif ou militant.
Pratiquant une approche globale de la problématique régionale, il utilise lui-même volontiers le terme de « géo-histoire » pour mieux l’appréhender. Les innombrables notes qu’il a laissées sur feuilles volantes montrent son souci permanent d’approfondissement de la connaissance de la langue et sa réflexion sur les thématiques politique, économique, culturelle, linguistique et environnementale de la région provençale et plus largement sur l’espace occitan.
Il est enfin important de rappeler que sa position vis à vis de la question de la graphie du provençal a été celle de l’ouverture et de la tolérance, reconnaissant le fait qu’il y a deux orthographes historiques de la langue d’oc en Provence, comme cela est rappelé dans la préface de la méthode d’apprentissage du provençal dont il est le co-auteur avec Alain Barthélemy-Vigouroux. En effet, si leur choix se porte sur la graphie classique, tous deux affirment cependant :
« Quoiqu’il en soit, l’importance de la production écrite de tradition mistralienne en basse Provence, qui continue de prouver sa vitalité de nos jours, impose à toute personne qui souhaite s’approprier la pratique du provençal d’être capable de lire couramment l’orthographe qu’elle utilise, et d’en maîtriser les règles fondamentales afin de pouvoir l’écrire, au prix de quelques vérifications de détails. C’est pourquoi notre manuel comporte une initiation solide à l’orthographe mistralienne. »
(non exhaustive, classement par date de parution)
- MARTIN Guy : Sud ou Occitanie ? Marseille, Lo Calen de Marselha, 1967
- BAYLON Christian, LAFONT Robert, BARSOTTI Claude, MARTIN Guy, POGGIO Yves : Parlam Provençau, version provençale, collection Paraula occitana, Marseille, Lo Calen – GLEP – CREOP, CRDP, 1971 (302 p.)
- Collectif (sous la direction de Robert Lafont) : Le Sud et le Nord, Toulouse, Privat éditeur, 1971 (249 p.) Guy Martin a rédigé le premier chapitre intitulé « Du relief aux hommes » (p. 13 à p. 72)
- MARTIN Guy : Provence au présent, 44 textes d’oc pour les Provençaux d’aujourd’hui, CREP Provence, 1978
- PORTE-MARROU Lucienne, MARTIN Guy (contributeur) : Dançar au païs, Avignon, Institut d’Estudis Occitans Vauclusa-Ventadorn, 1983 (277 p.)
- MARTIN Guy : « Le poète de Marseille, Victor Gelu » (p. 45 à p. 63), in l’ouvrage collectif Victor Gelu Poète de Marseille Marseille au temps de Victor Gelu, Institut d’Études occitanes, Centre Régional d’Études Occitanes de Provence, sans date (1985 ?) (63 p.)
- MARTIN Guy : « Notes sur le parler de Victor Gelu mis en perspective avec l’espace linguistique occitan » (p. 201 à 228) in édition de Nouvè Grané, Centre régional d’études occitanes de Provence, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1987 (229 p.) Cette édition du roman de V. Gelu est le fruit du travail collectif d’ « une équipe animée par Gérard Gouiran, composée d’Alain Barthélemy, Jean-Yves Casanova et Guy Martin ».
- Association régionale des professeurs d’histoire et de géographie (ouvrage collectif) : Le Territoire régional Provence, Alpes, Côte d’Azur, Aix-en-Provence, Région Provence Alpes Côte d’Azur – Université d’Aix-Marseille – Institut de géographie, 1992 (168 p.)
- LÈBRE Élie, MARTIN Guy, MOULIN Bernard : Dictionnaire de base français-provençal, Centre regionau d’Estudis occitans Provença, 1992 (432 p.)
- BARTHÉLEMY-VIGOUROUX Alain, MARTIN Guy : Comment écrire le provençal en orthographe classique (brochure), AELOC (snl, sd, vers 1995), 24 p.
- MARTIN Guy, MOULIN Bernard : Grammaire provençale et cartes linguistiques, Aix-en-Provence, Comitat sestian d’Estudis occitans, CREO Provença, 1998 (192 p.)
- MARTIN Guy : « Pratiques et modèles alimentaires en Haute et Basse Provence, 1 – Des origines à la consécration » in revue Le patrimoine de Vachères, publiée par l’association éponyme, n° 15, décembre 1998, 36 p.
- MARTIN Guy : « Pratiques et modèles alimentaires en Haute et Basse Provence, 2 – Une cuisine de la diversité, de l’équilibre et du goût » in revue Le patrimoine de Vachères, publiée par l’association éponyme, n° 16, juillet 1999, 44 p.
- BARTHÉLEMY-VIGOUROUX Alain, MARTIN Guy : Manuel pratique de provençal contemporain Parler, lire et écrire le provençal d’aujourd’hui, Aix-en-Provence, Edisud, 2000 (447 p. + 1 CD). (Deuxième édition : 2007 Troisième édition : 2017)
- FETTUCIARI Jòrgi, MARTIN Guiu, PIETRI Jaume : Dictionnaire provençal-français Diccionari provençau-francés, L’Escomessa, CREO Provença, Aix-en-Provence, Diffusion Edisud, 2003 (571 p.)
(classement par date de parution)
- LERAUT Patrice J. A., Liste systématique et synonymique des lépidoptères de France, Belgique et Corse (2e édition), supplément à Alexanov, 45, rue Buffon, Paris (5e), 1997 (526 p.) : traduction en oc-provençal du résumé de Patrice Léraut relatif aux lépidoptères recensés en Provence, avec carte (p. 385)
- BELLAGAMBA : Dins mon païs, Orange, Grandir, 1999 (20 p.) (adaptation pour la jeunesse)
- BÉRENGUIER Victor : Balthazar, l’âne testard, Saint-Martin de la Brasque, le Lutin malin, 2003 (95 p.) (adaptation pour la jeunesse)
- Lectures occitanes, Avignon, Instituts d’études occitanes, 1975 (disque 33 t., 30 cm, en collaboration avec Pierre Bec et Joseph Migot)
- FOURIÉ Jean, Dictionnaire des auteurs de langue d’Oc de 1800 à nos jours, Aix-en-Provence, Felibrige Edicioun, 2009 (371 p.)
- site data.bnf.fr/guy martin
1. Émission La France défigurée du 22 juillet 73, consultable sur le site de l’I.N.A. : https://www.ina.fr/video/CAF93027867/autoroute-b52-aubagne-toulon-video.html de 00:06:50 à 00:07:45 ↑
2. Rubrique « Biographie des personnes qui ont marqué (ou marquent) l’histoire de l’Occitanie » ↑
3. Documents remis au Cep d’oc, Ostau de Provença, à Aix-en-Provence mais non encore inventoriés ↑
]]>Gelu, Victor (1806-1885)
- Gelu, Vitour (forme occitane du nom)
Victor Gelu est né à Marseille le 12 septembre 1806, dans une famille marseillaise originaire d’Embrun, dans les Hautes-Alpes. Son père, comme son grand-père auparavant, exerçait la profession de boulanger et dirigea plusieurs boulangeries marseillaises. Sa mère, Rosalie Margalet, couturière, était pour sa part issue d’une famille catholique pratiquante de Puyloubier, à l’est d’Aix. Gelu était notoirement proche de son père qu’il adorait et admirait, quand ses relations avec sa mère furent toujours marquées par une profonde tension. Les problèmes de santé de son père l’obligent à mettre précocement un terme à ses études, entamées chez les Frères gris d’Aix, période de sa vie qu’il n’apprécia guère. Son acrimonie vis à vis de la religion catholique ostensiblement affichée se forge vraisemblablement là, aggravée par son opposition à la ferveur religieuse de sa mère, qu’il rejette. Il se forge enfin sous la férule de son précepteur l’abbé Chabert, homme dur qui lui laissé un sinistre souvenir, et enfin dans les rues de Marseille ensanglantées par les émeutes de l’été 1815, entre bonapartistes et la majorité de la population de la vallée du Rhône, de sensibilité royaliste. Gélu développe alors un fort sentiment républicain. Une altercation avec un de ses professeurs, un des frères d’Aix, achève de le convaincre d’abandonner l’école. Mais le décès de son père, Étienne Victor Gelu, le 10 juin 1822, fit basculer sa vie. Gelu en conçut un profond chagrin qu’il exprima souvent. La boulangerie familiale commença à péricliter, dit-on à cause du caractère détestable de sa mère et de ses dons irraisonnés à l’Église. Mais le portrait de Rosalie Margalet en bigote revêche provient de son fils, qui nourrissait très vraisemblablement un fort ressentiment vis à vis de sa mère.
Victor Gelu fréquente des cercles et goguettes, à l’instar de celles que fréquentaient Béranger à Paris, dont les Endormis, cercle bonapartiste comprenant nombre d’anciens soldats de l’Empire, qui joue des pièces de théâtre et chante des chansons dans un « caveau ». Ayant petitement hérité de son père et n’ayant pu conserver ses économies, Gelu quitte alors Marseille. Il voyage, à Bordeaux puis Paris, où il cherche à se construire une situation. Il échoue et ne parvient qu’à dilapider l’argent qui lui reste. Il se retrouve de nouveau à Marseille, dépendant de sa mère qui ne l’accueille pas à bras ouverts. Gelu s’initie alors au théâtre. Il remplace, à Antibes, un comédien porté absent pour une pièce, et remporte un succès considérable. Mais le milieu du théâtre, libertin, ne plaît pas à l’austère moraliste qu’il est en train de devenir. Ayant tenté de se faire embarquer à Toulon comme commis aux vivres sur un bateau en partance pour l’expédition d’Alger, il rentre une fois de plus penaud chez sa mère qui l’expédie, en compagnie de son jeune frère Noël, à Lyon pour travailler dans une usine de pâtes alimentaires. Ayant perdu sa place dans la tourmente que constitua la révolution de 1830, lui-même fut impliqué dans les mouvements ouvriers insurrectionnels connus à Lyon sous le nom de révolte des Canuts, et blessé sérieusement en 1831. Sans emploi, avec des espoirs déçus, il s’en revint en Provence où il logea chez son frère Noël, devenu minotier à Aubagne. Mais ne s’entendant pas avec sa belle-soeur, Gelu se trouva de nouveau en échec, et tenta de se suicider. Son frère parvint à l’en empêcher.
Revenu à Marseille, Gelu loua une maison, et décrocha un emploi de clerc, d’abord à 30 puis à 60 et enfin à 90 francs par mois, ce qui le mit à l’abri du besoin. Libéré des contingences matérielles, Gelu put se lancer l’esprit libre dans la création : ce fut d’abord en 1838 Fenian et Grouman, chanson satirique, éloge de la fainéantise et des plaisirs, puis en 1840, son recueil de vingt-cinq chansons, à la façon des goguetiers, dont dix en provençal et quinze en français. En 1852, il est invité au congrès des félibres à Arles. Il remporte un brillant succès. Les félibres et le public sont impressionnés par son gabarit imposant, la puissance de sa voix, sa présence, son charisme. Monté sur une table, il chante Fenian et Grouman. Il est le centre de l’attention, et c’est à cette occasion que Joseph Roumanille lui adressera la phrase restée célèbre : Mon Dieu, Monsieur, vous devez nous trouver tout petits. Mais s’il connaissait les félibres, Gelu refusa toujours d’être un des leurs. Sauvage autant que paradoxal, il conserve son indépendance d’esprit. Son engagement républicain a certainement joué lui aussi dans son rapport avec le Félibrige. Il se fit d’ailleurs des ennemis politiques, qui tentèrent de s’opposer à la publication de ses œuvres ou même à les censurer. Gelu vit quelques années à la minoterie de Roquevaire, près d’Aubagne, puis retourne à Marseille, dans le quartier Saint-Barnabé. Il perd une fille, et publie en 1854 Lou Credo de Cassian, puis en 1855 Nouvè Grané, roman social qui met en scène le voyage à l’Exposition universelle de Paris d’un paysan de Vitrolles. Le texte est une satire du progressisme et de la foi dans la technique au service du bonheur des hommes. L’année suivante, Gelu réédite ses chansons provençales en version augmentée. Quelques années plus tard, Gelu se retrouve veuf. La mort de sa femme constitua pour lui une terrible épreuve.
Gelu commença à prendre un certain recul dans les années 1870, et, affecté par les deuils et vieillissant, cessa progressivement d’écrire. Il refusa en 1878 d’être coopté à l’Académie de Marseille, malgré une réelle volonté de l’intégrer. La municipalité de Marseille lui refusa un poste qu’il avait sollicité, de professeur de diction au Conservatoire. Il mourut chez son fils, architecte de métier et artiste-peintre, le 2 avril 1885. Un délégué des « Endormis », le cercle goguettier de ses débuts, prononce un discours. Gelu connaît un succès posthume réel, avec la réédition complète de ses œuvres - moins les Mémoires - en 1886, et en 1891, le monument qui lui est élevé sur le Vieux-Port, place neuve, rebaptisée place Victor-Gelu.
Gelu a puisé l’essentiel de son inspiration dans la contemplation de la société populaire marseillaise, celle du port et des bas-fonds. Républicain engagé, il se fait l’écho de la colère sociale des plus démunis, de la révolte et des cris de colère. Sévère dans sa morale, son œuvre est baignée d’une hauteur de vue sombre et dépourvue d’illusions sur le monde. S’il a lui-même souffert et connu la détresse, son engagement républicain ne l’a pas empêché de garder ses distances avec certains aspects de l’idéologie de son temps, y compris dans le camp républicain, comme le progressisme et le scientisme, portés par la pensée positiviste alors en vogue. Il n’hésite pas, dans ce cas, à adopter une position que d’aucuns pourraient qualifier de réactionnaire. Gelu a été toute sa vie inclassable et l’est resté. Seule chose que personne ne saurait lui contester : un amour et une profonde connaissance de sa ville, du Marseille populaire de langue provençale.
Il est difficile de situer Victor Gelu dans la renaissance de la langue occitane en son temps. Il en est à la fois un acteur essentiel, central, et un marginal. Contemporain du Félibrige, il connut et fréquenta un peu les félibres, notamment par sa présence remarquée au congrès d’Arles de 1852, où il interprète sa première œuvre, Fenian et Grouman suivi d’un souvenir plus personnel, lié à son père. Dans la préface de l’édition des oeuvres complètes de 1886, Mistral se remémore Victor Gelu, le célèbre Gelu, que je voyais et entendais pour la première fois et de préciser aussitôt que cette première fois fut aussi la dernière : ni Mistral ni les félibres ne revirent Gelu.
Je n’ai vu Gelu que cette fois. Dans aucune de nos fêtes ni de nos réunions, si fréquentes pourtant depuis la fondation du Félibrige, nous n’avons plus rencontré le terrible chansonnier. De même que les lions, devenus vieux, vont vivre solitaires dans le fond du désert, ainsi le vieux poète qui, tout en maniant magistralement sa langue, avait désespéré de sa résurrection, en voyant après lui monter ces jeunes, ivres d’enthousiasme et d’espérances provençales, fit seul sa bande à part, et dédaigneux, muet, laissa courir la farandole.
Gelu, sans forcément être « dédaigneux », ne souhaitait pas être récupéré, ni voir son nom associé à quelque école, mouvement, courant ou groupe que ce soit. Ce désir ardent d’indépendance s’associait à un engagement républicain et social marqués, qui lui semblaient peut-être incompatibles avec les orientations clairement chrétiennes, conservatrices de certains félibres tels que Roumanille ou Aubanel (qui sera pourtant attaqué par l’Église pour l’érotisme de ses poésies). La présence des républicains Brunet et Gras se suffit pas, semble-t-il, à le rassurer. Il a pu être dit, également, que Gelu, adepte du provençal populaire « en liberté » voyait d’un oeil méfiant les prétentions normatives des félibres : grammaires, dictionnaires, norme graphique... Cela n’empêche pas la langue de Gelu, très marquée par la dialectalité du provençal maritime de Marseille, d’être très écrite, riche en idiomatismes et dotée d’un lexique très étendu.
- Chansons provençales et françaises, Marseille, Sénés, 1840.
- Chansons provençales (2e édition augmentée), Marseille, Laffitte et Roubaud, 1856.
- Meste Ancerro vo lou Vieiugi. Chansons provençales avec glossaires et notes, Marseille, Camoin frères, 1863.
- Lou Garagaï. Chansons provençales avec glossaire et notes, Marseille, Camoin frères, 1872.
- Œuvres complètes, avec trad. litt. en regard précédées d'un avant-propos de Frédéric Mistral et d'une étude biographique et critique d'Auguste Cabrol, Marseille-Paris, Charpentier, 1886, 2 vol
- Nouvè Grané, Centre Régional d’Études Occitanes de Provence/Publications de l’Université de Provence, 1987.
- Victor Gelu, Poèta dau pòple marselhés, Cansons provençalas. CD-livre (musique de Dupain, Lo Còr de la Plana, Massilia Sound System, D'Aqui Dub...) Ostau dau Pais Marselhés/Edisud, 2003.
- "Victor GELU - L'homme révélé par ses textes" - Tomes I et II - par Michèle Delaage et Pierrette Bérengier - Cahiers 104 et 105 du Comité du Vieux-Marseille, 2011.
Carbon, Émile (1898-19..)
Émile Carbon est né le 29 mai 1898 à Agde, fils de Carbon Marie Joseph, capitaine au long cours, âgé de 26 ans et de son épouse Alengry Idalie Louise Marthe, sans profession, âgée de 25 ans. Son frère cadet, Roger Carbon, participera aux aventures éditoriales de son aîné. Émile Carbon fait ses études au lycée de Montpellier, puis à la Faculté des Lettres et à la Faculté de Droit de Montpellier. Licencié ès lettres, il présente une thèse pour le doctorat ès sciences juridiques sous le titre « le désaveu de paternité ». Il épouse à Montpellier le 7 décembre 1925 Suzanne Marie Gabrielle Bonnier ; ils auront trois enfants.
Carbon, Émile (1898-19..)
Emili Carbon nais lo 29 de mai de 1898 a Agde, filh de Maria Josèp, capitani de long cors, vièlh de 26 ans e de sa molhèr Alengry Idalia Loïsa Marta, sens mestièr, vièlha de 25 ans. Son cabdèt, Rogièr Carbon, participarà a las aventuras editorialas de son ainat. Emili Carbon estúdia al Licèu de Montpelhièr, puèi a la Facultat de Letras e a la Facultat de Drech de Montpelhièr. Licenciat en Letras, presenta una tèsi pel doctorat en sciencias juridicas jol títol « la desavoacion de paternitat ». Marida a Montpelhièr lo 7 de decembre de 1925 Susana Maria Gabrièla Bonnier, auràn tres dròlles.
Los estudis de drech decidisson de son avenir professional, mas es passionat per las Letras. Emili e son fraire fan partida d’una coòrt de joves de la primièra mitat del sègle XX, afogats per la poesia e per la literatura en general, que fondan e animan un fum de revistas literàrias. Veson dins aquelas revistas un mejan de començar una carrièra que farà d’eles d’ « òmes de letras ».
Emili Carbon collabòra a tres revistas de joves a Montpelhièr, çò que provòca aquela passion que lo quitarà pas mai. En 1915, es director de la revista L’Effort des jeunes.
En abrial de 1917, es mandat al 81° Regiment d’Infantariá. Dementre qu’es cimbalièr del regiment, collabòra a La Lanterne de Diogène, jornal bimesadièr dels estudiants de Montpelhièr (n° 1, 1917 – n° 45, junh de 1920). Fusilhièr mitralhaire, son actitud coratjosa li val d’èstre citat a l’òrdre de la Brigada. Es nafrat al combat en setembre de 1918 e decorat de la Crotz de Guèrra ambe estèla de bronze.
Collabòra tanben a Erato, jornal literari e regionalista, organ de l’Associacion regionala dels Liceans, que son fraire n’es l’administrator. Aquela publicacion efemèra – 5 numèros entre genièr e Pascas de 1919 – que son primièr numèro foguèt tirat a mila exemplars, acampa de joves que vendràn de personalitats montpelhierencas. L’associacion Erato organiza tanben de conferéncias, per exemple d’Emili Carbon sus « lo caractèr de las cançons de gèsta e sus Verlaine », e tanben de Rogièr Carbon sus « Renat Bazin e Edmond Rostand ». Cal notar que malgrat son etiqueta « regionalista » cercam de badas un mot occitan dins la publicacion.
Qualques annadas après, Emili Carbon participa activament a la publicacion d’un rar libret antologic : « Les Amitiés languedociennes » (Imp. Firmin e Montane, 83 p., 25,7x 16,7, 1925) illustrat de doas escrinceladuras d’Enric Martin, tèxtes de Paul Valèri, Joan Catel, J.S. Pons, A.J. Tomàs, Enric Bernard, Bernat Larzarius, Joan Cocteau, Joan Camp, Ives Blanc, Paul Castela, Delpont-Delascabras, Enric Chabròl... El meteis i balha de « Prières devant le Christ de Saint-Jean de Perpignan ».
Sas creacions literàrias en francés son eclecticas ; podèm legir un article dins Comoedia (París) del 19 de mai de 1935 : « On crée à Marseille, au « Rideau Gris » une pièce en un acte d’André Gide » ; un roman « Le cordonnet de soie » (ed. Gallimard, coll. Détective, 248 p., 1937). Emili Carbon es coscenarista e dialoguista del filme « Cap au large », sortit lo 25 de setembre de 1942, del realizator Joan-Paul Paulin. Aquel filme de 84 minutas, produch per Francinalp-Fims, foguèt tornat a Gruissan (Aude). En 1953, Emili Carbon collabòra a « La Provence merveilleuse, des légendes chrétiennes aux santons » (Albèrt Detaille) in-4, 145 p., illustrat, ambe un prefaci de Joan Giono).
Quand Lazare de Gerin-Ricard, en 1953, crèa la revista Thalassa a Marselha, convida sos amics e mai que mai los ancians de la Revue de Catalogne a collaborar. Se, a l’origina, la revista bimesadièra a una granda ambicion internacionala e acampa la collaboracion de plumas celèbras, s’aflaquís pro d’aviat e se replega sus Provença. Ven lo luòc de publicacion d’una banda d’amics de joventut dels ideals literaris passits. Emili Carbon – qu’i ten la cronica dramatica – la definirà coma « aquel testimòni dels jorns passats e de nòstra pichòta tropa amistosa que la màger part des sòcis an rejonch l’Ostal del paire, [un testimòni] que cal salvagardar ».(trad.) La revista desapareis en 1965.
Emili Carbon es fach Chivalièr de la Legion d’Onor lo 21 de mai de 1952, alara que Pèire Roqueta recep la Cigala de majoral e la distincion d’Oficièr d’Academia. Las organizacions organisatrises son Lo Centre Provençal de l’IEO, los grops felibrencs e provençals de Marselha e lo movement federalista « La Fédéracion » de Marselha.
Emili Carbon ensenha un cort moment al licèu de Montpelhièr. Puèi farà director de la « Caisse d’Epargne ».Probable qu’es per de rasons professionalas que quita Montpelhièr per Marselha ont ven director d’una societat « d’habitations à Bon Marché » cap a 1930. I deguèt far carrièra, que, en 1968, una de sas letras pòrta per entèsta : « Société anonyme régionale d’habitations à loyers modérés de Marseille, siège social : 21 rue Maréchal Fayolle ».
Per l’estat actual de nòstra documentacion, l’engatjament occitanista d’Emili Carbon sembla estrechament ligat a son amistat ambe un actor màger de la causa d’òc en Provença, Pèire Roqueta. D’efièch a Marselha, s’amistança durablament ambe aquel avocat, òme de letras e occitanista, qu’anima la revista La Coupo (21 numèros entre febrièr de 1918 e octobre de 1919). Emili Carbon participa a totas las iniciativas d’aquel òme per la causa occitana.
En 1926, se tròba còsta Pèire Roqueta per la creacion de las Amitiés méditerranéennes, a Marselha que s’interèssan a la vida e la cultura catalanas e recampan de personalitats coma lo compositor Pèire G. Bourgoin, l’ellenista Guastalla, lo pintre Valèri Bernard, eca... en ligason ambe la Fundació Bernat Metge, l’equivalent catalan de l’Associacion francesa Guillaume Budé, per la traduccion, l’edicion e la promocion des classics greco-romans. Pèire Roqueta e lo director de la Fundació Bernat Metge, Joan Estelrich, se rescontran a Barcelona e crèan una revista en lenga francesa per far conéisser la cultura catalana en Euròpa, ambe la collaboracion d’òmes de letras e d’artistas catalans e franceses, e l’ajuda financièra de Francesc Cambó, òme d’afars, mecènas e òme politic catalan màger. Atal espelís lo 25 de març de 1929, a Marselha La Revue de Catalogne. Pèire Roqueta n’es lo director literari ambe l’ajuda de sos amics de las Amitiés Méditerranéennes : Emili Carbon per cap-redactor, Renat Guastalla, administrator, Rogièr Carbon e Lazare Gérin-Ricard, secretaris de redaccion. Malgrat la qualitat del contengut e lo sosten financièr del mecènas, la parucion de la revista s’arrèsta après son cinquen numèro (1° d’agost de 1929) per manca d’abonats.
Emili Carbon a pas daissat una òbra escricha en provençal. A títol anecdotic, senhalem qu’a dedicat a son amic un poèma en provençal e en grafia mistralenca : « Dins nostre cami » tres quatrens, « Per lou Peire, ambe moun affecioun », datats de Marselha lo 1/1/1938. S’explica : « Excuse-moi de te répondre dans la langue des conquérants, mais si je peux parler la nôtre sans trop de ridicule, je ne la possède malheureusement pas assez pour y mouler ma pensée en l’écrivant ». (2/05/1939) Dins aquela letra ditz aver pas la « flamme dévoratrice » de son amic, mas se ditz « patriote provençal » e jutja « intéressantes » las proposicions de Robèrt Fabre-Luce per la creacion « d’un mouvement de néo-provincialisme » – pròche del separatisme – desvolopadas dins lo Marseille-Matin del 3 o 4 de mai de 1939. Los fraires Carbon son sòcis de la Societat d’Estudis Occitans (SEO), fondada en 1930 e reviscolada en 1939 pel Catalan en exili Josep Carbonell. A aquela data, Emili fa partida de la delegacion de la SEO de Marselha, còsta Emili Bodin, Carles Camprós, Antòni Cònio, Paul Eissavèl, Jòrgi Rebol, Paul Ricard e Pèire-Joan Rodin (Pèire Roqueta). Son nom « Emili Carbon, doctor en Droit » (sic) figura dins la tièra dels membres del Conselh d’Administracion sul papièr a letras de la SEO en 1939.
A la Liberacion, es fondat a Tolosa l’Institut d’Estudis Occitans que prendrà la seguida de la SEO. Quand Pèire Roqueta crèa a Marselha sa seccion provençala, lo Centre Provençal de l’IEO, Emili Carbon lo rejonh. Dins las annadas 1945-1950, alara que Pèire Roqueta balha de corses publics setmanièrs de provençal e de parlicadas a Ràdio-Provença, Emili Carbon, qualificat d’ « animator incomparable » fonda un Cercle Occitan, ambe una formula d’aperitius literaris setmanièrs, en participant al cicle de las « Òbras racontadas » (Mistral e Mirèlha, Calendau, per exemple). Balha tanben conferéncias e debats, per exemple sus l’òbra poetica de Renat Nelli lo 13 d’abrial de 1953, una introduccion a l’Art Roman dins lo cicle medieval en 1960-61, una conferéncia sus Manolo Hugué a la « Maison Gasconne » en febrièr de 1978... Lo centre se vòl un fogal de cultura umanista, provençal mas tanben dubèrt a tota l’Occitània, Catalonha compresa, embraçant totes los aspèctes de la cultura. Es tanben un luòc de difusion de las idèas regionalistas e de debats. Atal fa un expausat lo 12 de genièr de 1953 sul Neo-regionalisme qu’es seguit de debats e un autre intitulat : « Qu’est-ce que l’Occitanisme ? » al Fogal Massalia dins las annadas 1970.
Pendent mantun decenni, Emili Carbon es donc un pròche collaborator de Pèire Roqueta. Es sòci del Conselh d’Administracion del Centre Provençal, atal coma Amedèu Muset, professor d’espanhòl e Mme Maïte Pin-Dabadie, femna de letras que parteja sa vida entre Banhèras de Bigòrra e Marselha. N’es, un temps, lo vicepresident e es per aquesta rason que presenta lo conferencièr Ròbèrt Lafont vengut parlar de « La miugrana entredubèrta » lo 14 d’octobre de 1960. Es abonat a Òc e a las Annales de l’IEO e participa financièrament a la Causa, es en mai membre del Conselh d’Estudis de l’IEO (veire las tièras de 1947, 1949 e 1962). Collabòra a L’Ase negre, organ occitanista mesadièr, successor d’Occitania, fondat pel trio Robèrt Lafont, Leon Còrdas e Elena Cabanas en 1946. Es atal qu’escriu un editorial en primièra pagina del numèro 7 de febrièr-març de 1947, « Faire Province ». En 1955, participa ambe Pèire Roqueta, Pèire-Loís Berthaud, Robèrt Lafont e un cèrt Gerard (que son pichon nom es desconegut) al projècte – que farà meuca – de la publicacion : »Presentation de la Provence » que deviá realizar l’IEO. Aquela iniciativa seguissiá la parucion l’annada d’abans de la brocadura « Presentation du Languedoc » qu’i participèron Carles Camprós, Max Roqueta, Robèrt Lafont, Max Allier, Leon Còrdas... ambe un prefaci de Joan Cassou.
En 1963, ven de prene la retirada quand legís dins Òc la debuta del roman de Joan Bodon « Lo libre dels grands jorns » que l’impressiona favorablament : « J’admire non sans quelque nostalgie ces jeunes » e constata ambe tristesa, que, per el, « il est un écrivain mort jeune ». (Corr. del 13/08/1963 adreiçada a Pèire Roqueta).
Dins la pontannada 1960-1970, la question de la regionalizacion anima los debats publics qu’i participa lo Centre Provençal. Dins lo selhatge de mai de 1968, ambe l’arribada d’una novèla generacion de militants, lo movement occitan se radicaliza. Aquela evolucion agrada pas al Conselh d’Administracion del Centre Provençal ( que Carbon ne fa partida), partisan d’un regionalisme umanista. Lo Centre Provençal quita l’IEO e pren lo nom de Centre Provençal de Culture Occitane. Explica publicament las rasons d’aquela separacion dins un fuèlh titolat : « Occitanisme et Marxisme, une mise au point du Centre Provençal de Culture Occitane » (roneotat, sens data ni signaturas) qu’afortís son « regionalisme umanista » e s’aubora contra la « pretencion » d’unes occitanistas « d’analisar la situacion del Pòble d’Òc ambe una optica de lucha de las classas e d’establir atal una relacion estrecha entre l’Occitanisme e lo Marxisme ».
1.Note de Guy Barral : « Poil et Plume : c'est une astuce désignant les POILus qui écrivent. Le 81ème, c'est le régiment de Montpellier qui était en garnison cours Gambetta) »
Indications portées sur la revue : « Gaz...ette inoffensive et intermittente publiée SGDMB [Sans Garantie Des Marmites Boches] - Devise : Vivo lou Clapas puis au n°3 : Vivo lou miejour - Sous titre : Poil des rudes lapins, Plume des joyeux coquins du 81me Régiment d'Infanterie. Avis : Il est dangereux de lire le journal entre les lignes. Abonnement : définitif pour la durée de la guerre, 20 F - Adresse : Caporal Gabriel BOISSY, à la C.H.R. du 81ème Régiment d'Infanterie. Gérant : Gabriel Boissy. Imprimerie : Mistral, à Cavaillon. Format : 45 x 27 cm. N°1, mai 1916 - N° 15 et dernier, janvier 1919. Le n°4 et le dernier numéro, titre rouge, sont distribués gratuitement pour fêter la croix de guerre du Régiment et, bien sûr, la victoire.» Cote BMM : 1283↑
Savinian (1844-1920)
- Lhermite, Joseph (nom à l'état civil)
- René Montaut (pseudonyme)
- Frère Savinien (pseudonyme)
Savinien, ou Savinian en occitan est le nom en religion de Joseph Lhermite
Élève des Frères des Écoles chrétiennes (la principale congrégation enseignante) à Villeneuve, commence son noviciat à Avignon en 1857, et reçoit le nom de Frère Savinien-Joseph. Enseignant à Alès de 1860 à 1872 (sauf 1862 passée à Uzès).
Le Frère Troyen, directeur, fait donner à ses Frères des leçons par les professeurs du lycée. En 1872, à 28 ans, il est chargé de la première classe de l’école publique des Ortolans à Avignon.
En 1882, il devient directeur de l’école des Frères à Arles, et installe les Frères dans de nouveaux locaux (8 classes et 11 Frères, 319 élèves), après la laïcisation de l’école publique.
À partir de 1896, il est nommé « visiteur » (inspecteur) des Écoles chrétiennes du district d’Avignon.
En 1901 il est appelé à l’« institut technique » (dixit J. Flamme, maison centrale des Frères, Institut de Mérode 1) de Rome où il dirige l’enseignement du français.
Revenu en France, il dirige comme frère sécularisé, après l’interdiction des congrégations enseignantes en 1904, sous son nom de Joseph Lhermite, le pensionnat de Bourg-Saint-Andéol. En 1907, il dirige la grande école professionnelle de Lyon. En 1908, il rejoint Avignon comme inspecteur, puis voyage aux Baléares où s’était reformé son district d’Avignon. En 1912, il se rend à Paris pour revendiquer les droits des anciens religieux, puis se retire à la maison de retraite des frères d’Avignon, au moment où est suspendue l’interdiction à la suite de « l’Union sacrée ». Après guerre, il voyage en Italie, Belgique, Angleterre, Espagne (1919).
Botaniste, archéologue, peintre à ses heures, il connaissait les langues anciennes et cinq langues modernes.
Ranquet est un ami d’enfance. Dès 1857, il connaît Roumanille à Avignon. Il fait la connaissance de Frédéric Mistral en 1871, à l’occasion du mariage d’Arnavielle à Alès. Mistral lui fait connaître l’ouvrage de Michel Bréal, déjà professeur au Collège de France, Quelques mots sur l’instruction publique en France, publié avec succès en 1872, et qui prône l’usage des « patois » pour apprendre le français, peut-être à l’occasion de la venue de Bréal à Montpellier en 1875, lors du congrès de la Société des Langues Romanes. Savinien utilisera ensuite systématiquement des citations de Bréal, et notamment son discours devant les instituteurs à l’occasion de l’Exposition universelle de 1878, où il se déclare, en présence du ministre, « ami des patois ».
Un « prospectus » de 1875 montre que le projet de Savinien est déjà assez avancé à cette époque, et qu’il a obtenu l’accord de sa hiérarchie congréganiste.
« Vous pourrez apprécier vous-même ce travail, par la traduction d’un poème de Mistral : "les Saintes", que vous trouverez ci-joint.
Les élèves qui s’inspireront à une source si belle et si pure acquerront des avantages précieux qu’il leur était impossible d’obtenir en étudiant la grammaire ou le style selon la méthode des pensionnats et des cours professionnels.
Celle que j’ai essayée, consiste à faire une version immédiate, sans être obligé de lire en provençal ; après l’explication d’une strophe de huit vers ou d’un fragment de prose ayant à peu près la même étendue, l’élève traduit à la maison ce devoir journalier et le lendemain le professeur corrige les deux ou trois premières copies ainsi que les deux ou trois dernières, puis il fait écrire au net et par toute la classe, la traduction insérée à la fin du livre du maître. »2
Toujours en 1875, Savinien s’adresse au ministre pour obtenir une autorisation officielle d’usage d’un « livre classique provençal » (sans doute le Recueil des versions pour servir à l’enseignement du français), qui lui est refusée « J’ai transmis à M. le Ministre […] la demande du frère Lhermite à l’effet d’obtenir l’autorisation d’introduire dans les écoles publiques un livre classique provençal. Il m’a été impossible d’appuyer cette demande, parce que, en pareille matière, l’abus est trop près de l’usage. Si la langue provençale est enseignée dans les écoles, le français en souffrira plus qu’il n’y gagnera, et nous ne pourrons point répondre que tel instituteur ne sacrifiera pas à peu près complètement l’idiome de France à celui de Provence, surtout à une époque où l’on s’efforce de donner à ce dernier une importance un peu exagérée. Le Picard, surtout le bas breton et beaucoup d’autres parlers plus ou moins savants, auraient bientôt pénétré dans la place, une fois la brèche ouverte. » Source : AD Vaucluse 1 T 197, « Dossiers personnel congréganiste - Joseph Lhermite », lettre du recteur Charles Zevort à l’inspecteur d’académie, 5 juillet 1875. Savinien fera état dans la préface de son deuxième ouvrage de 1878 (le premier concernant les élèves les plus âgés) du fait qu’il a utilisé le réseau méridional des écoles des Frères pour essayer son procédé :
« La troisième partie du Recueil des versions provençales a été mise à l’essai dans quelques classes pendant deux ans et la réussite a démontré que, de Nice à Bayonne et de Perpignan à Limoges, on pourrait obtenir de notables progrès par cette nouvelle méthode. Plusieurs inspecteurs primaires l’ont recommandée à leurs instituteurs »,
ce qui reste vague en l’état. Y sont aussi développés les avantages de la traduction dans trois directions : pour l’orthographe, pour le style, pour la morale patriotique, avec citations de Michel Bréal à l’appui 4.
Bréal figure aussi dans la préface au titre des « témoignages d’approbation », avec cette citation, qui a l’air cependant d’être tirée d’une correspondance de courtoisie : « Vous verrez que cette méthode sera suivie jusque sur les bords de la Loire. »
La congrégation laisse faire visiblement, et présente à l’Exposition universelle de 1878 des « versions flamandes et provençales »5, signe que Savinien a étendu sa « méthode » au-delà du Midi par l’intermédiaire des Frères.
Un article de 1881 6 souligne que les réticences existent aussi de ce côté-là : « N’allez pas croire pourtant que les congréganistes aient tressé des couronnes à leur confrère, créateur de ce système plein d’attrait et d’un succès bien constaté. Mon Dieu, non !
Rien n’est plus long et ne rencontre plus d’obstacle que la marche progressive de la pédagogie. C’est une souveraine un peu routinière, solidement établie sur un trône séculaire. L’Université 7, les institutions congréganistes la soutiennent à la fois, et, empressées dans les hommages qu’elles lui rendent, elles forment une barrière que le progrès ne peut pas toujours franchir. Voilà ce qui est arrivé, mais l’Université comme les congrégations, toutes agissent avec une pure bonne foi, et nous espérons que, se rendant mieux compte des services que la découverte à laquelle nous faisons allusion doit rendre à l’enseignement, elles l’appelleront en aide au français qui végète à l’école primaire. »
La publication de la Grammaire provençale en 1882 montre que Savinien a lu aussi la Grammaire historique de Brachet (1867), dont il réutilise le plan, non sans s’inspirer de la Grammaire générale de Port-Royal, marquant ainsi le retard de ses références, au moment où justement l’inadaptation pédagogique de la grammaire historique pour le primaire devient patente8.
En 1884, Savinien présente devant le Conseil supérieur de la Congrégation des Frères son projet d’apprentissage du français par traduction du provençal9, avec une lettre de soutien de Mistral : « Vous êtes armé de toutes pièces. Nul en France ne pourrait apporter, dans la discussion de l’enseignement primaire, des arguments plus neufs et plus expérimentés. Le grand vice du système qui ne tient pas compte des dialectes populaires, c’est de faire le vide dans le cerveau des enfants du peuple en remplaçant les assimilations naturelles et spontanées de l’intelligence enfantine par un bagage factice et essentiellement fugitif de notions disparates qui, en dehors des quatre règles, seront en général inutiles à l’écolier. Vos élèves sont destinés pour la plupart à devenir laboureurs, ouvriers, forgerons, maçons, etc. c’est-à-dire à vivre dans les milieux où la langue populaire leur sera indispensable soit pour la technologie traditionnelle, soit pour les rapports sociaux. Et l’on s’évertue à chasser de ces jeunes cervelles les éléments de compréhension et de sociabilité indigène qui s’y étaient naturellement amassés ! C’est de la folie ! C’est comme si on s’amusait à vider un œuf pour remplacer par des mixtions chimiques le contenu fécond que la nature y déposa. »10
On n’a pas d’information sur le résultat, mais la Congrégation, qui a ses propres manuels, se garde de faire entrer dans son catalogue les ouvrages de Savinien.
Savinien est nommé majoral en 1886.
Invité par le félibrige parisien en 1890 à faire le discours de Sceaux11, Bréal va s’en prendre au procédé de Savinien.
« […] Je ne crois pas que le dialecte doive faire partie du programme officiel de l’école. Il y a quelques années, un félibre, d’ailleurs bien intentionné, a proposé, pour les écoles du Midi, des thèmes provençaux et des versions provençales. Faut-il appliquer au parler natif les méthodes savantes qui nous permettent à grand-peine de retenir quelques mots de latin et de grec ! Je ne le pense pas. A ceux qui savent le dialecte, ces exercices paraîtraient trop faciles, et ils n’apprendraient pas grand-chose à ceux qui ne le savent pas. Il faut désirer que l’idiome paternel ne rappelle à nos enfants que des souvenirs sans mélange. Mais ce que nous avons le droit de demander, c’est que l’instituteur ait la considération qui convient pour un langage français, et qui, bien qu’il ne soit pas le langage officiel, n’en a pas moins ses lois régulières : si le maître est bien inspiré, il le fera intervenir de temps en temps pour éclairer un mot, pour montrer une parenté, pour laisser entrevoir une origine. Il n’en faut pas plus : on dissipera ainsi les préventions et l’on rectifiera les idées fausses. C’est le plus sûr moyen de faire respecter et aimer nos vieux idiomes provinciaux. »12
Partisan déterminé de la méthode directe pour apprendre les langues vivantes, Bréal, après la polémique de 1888 entre Mistral et Sarcey, faisant renaître l’accusation de séparatisme, doit aussi tenir compte de ce contexte.
Savinien va répondre dans deux journaux parisiens, L’Etendard et Le Constitutionnel du 2 septembre 1890, soit plusieurs mois après le discours de Sceaux de Bréal : et, de plus, les deux feuilles ultra-catholiques ont un tirage confidentiel13 :
« Depuis bientôt quinze ans, M. Bréal connaît cette méthode, il a eu mainte occasion de se prononcer contre son introduction dans l’école, jamais, que nous sachions, il n’a fait entendre un mot contradictoire dans la presse ou dans des conférences ; et c’est après cette longue période d’une élaboration locale dont il resta toujours éloigné, sans pouvoir ainsi être initié aux avantages de la découverte, qu’il en déclare l’inutilité. Mais il se heurte à l’adhésion d’un directeur d’école du département des Landes qui écrit à l’auteur des versions : "Je vais composer les mêmes livres pour le dialecte gascon", à celle d’un rédacteur du journal pédagogique de Nîmes, disant : "avec votre système, vous avez pleinement raison", à l’approbation du jury de Londres qui accorda un diplôme d’honneur en participation, portant la mention très bien, à l’exposition scolaire de Digne qui décerna une médaille d’or.
Tout cela est bien fait pour laisser à M. Bréal des doutes sur la sévérité de son exécution, et nous n’appelons pas en témoignage tous les partisans de la traduction classique ; ils sont nombreux, et ils ne manquent point de compétence, dans l’enseignement secondaire, soit celui de l’Université, soit celui des écoles libres. Au fond, de quoi s’agit-il ? De traduire les chefs-d’œuvre d’une langue pour mieux apprendre le français ; au collège, c’est la méthode des enfants du riche, à l’école primaire, ce sera celle des enfants de nos classes laborieuses. Par ce temps de démocratie et d’égalité raisonnable, procéder différemment serait chose fâcheuse.
Ou la traduction est bonne ou elle ne vaut rien ; si la méthode est fausse, d’où vient que vous la maintenez avec les collégiens ; si vous la jugez réellement utile, pourquoi la proscrire dans les classes des familles populaires ?»
Après quelques mots de dépit, Savinien oppose à son illustre critique des références pratiques en sa faveur dont il n’a pas l’air de mesurer le caractère très limité. Son argumentation sociologique est plus originale, surtout dans des journaux dont le souci démocratique n’est pas le plus habituel.
Pour autant, la lettre de Prosper Estieu* à Savinien du 17 janvier 1893 montre que le réseau félibréen lui permet d’entrer en contact avec de jeunes maîtres de l’enseignement public, comme Estieu* et Perbosc* qui ont entendu parler de sa méthode :
« Comme vous, je voudrais, de concert avec mon ami Perbosc, publier un système complet d’enseignement de la langue pour nos écoles et nos familles haut-languedociennes. Nous ne pourrions le faire qu’en nous inspirant — et nous le proclamerions — de vos travaux que nous voudrions bien connaître en totalité.»14
Cependant le projet de semble pas avoir eu de suite.
1896 va être une année marquante. D’une part, Savinien, grâce à la complicité des Montpelliérains du Félibrige latin Roque-Ferrier* et Augustin Gazier*, va participer au congrès annuel des Sociétés savantes qui se tient à la Sorbonne, pour y présenter sa méthode (4 avril)15. C’est l’occasion pour Albert Bayet, directeur de l’enseignement primaire16, qui le reçoit, de tenir des propos favorables, ensuite fréquemment cités : «je ne vois pas pourquoi les inspecteurs d’académie s’opposeraient à l’emploi de votre méthode ! »
De son côté, lors de son passage à Paris à la maison généralice devant la commission des livres, Savinien obtient l’autorisation du Frère Joseph, Supérieur général.
Cependant, Bréal s’en prend à Savinien, directement cette fois, dans une entrevue publiée dans L’Éclair de Paris du 11 avril 1896. La réponse de Savinien, dont nous avons un manuscrit, semble n’avoir pas été envoyée (cf. Boutan, 2003). Mais c’est surtout le congrès d’Avignon du 27 septembre 1896, qui regroupe semble-t-il pour la première fois, plusieurs des partisans des langues minoritaires bretons et basques, pour rendre leur place « à la chaire, à la tribune et à l’école », qui suscite un intérêt national17. La « méthode savinienne », sans être directement nommée, sert précisément de référence.
L’Exposition universelle de 1900, où les Frères obtiennent plusieurs dizaines de prix, est l’occasion pour eux de présenter la « méthode bilingue »18 du Frère Savinien, qui est associée à celle du Frère Constantin (Constantius) de Landivisiau pour le breton.
La période de 1901 à 1904 va être beaucoup moins bénéfique, puisque les congrégations enseignantes vont finir par être interdites. Et c’est en 1901 que le Conseil supérieur des Frères publie en deux gros volumes des Eléments de pédagogie pratique intégrant en appendice19 avec grande prudence une partie des propositions saviniennes, en évitant tout ce qui pourrait être contraire aux textes officiels.
La publication de La Lionide qui finit par avoir lieu en 191120, épopée de plus de 500 pages sur la défense de la chrétienté face aux musulmans, permet de taire la croisade albigeoise. Elle fait l’objet de commentaires élogieux non seulement de Mistral, mais aussi de Maurras et de Barrès, sans que l’on puisse affirmer que cela provoque un réel succès d’édition.
Désormais déchargé d’activités d’enseignement, Joseph Lhermite continue à intervenir pour faire rétablir par le Conseil général du Vaucluse une chaire d’histoire de la Provence (1910), puis milite pour que soit créé un Institut provençal, idée avancée par Mistral (1913), assure des cours publics de provençal jusqu’en 1919. Frédéric Mistral neveu, qui fut son élève, lui consacre plusieurs articles après son décès dans sa revue Le Feu, repris dans Et nous verrons Berre, tout comme Armand Praviel (cf. biblio.).
« Croire et dire qu’il réussit serait bien osé, car il eut à lutter presque toujours, et à la fois, contre l’ignorance, la routine et même la jalousie. » (Et nous verrons Berre, p. 20)
1. La Croix, 14 janvier 1902. ↑
2.
In Recueil LE 5792, p. 1-2. ↑4.« L’élève qui arrive à l’école, parlant son provençal, est traité comme s’il n’apportait rien avec lui [… avec « provençal » substitué à « patois »] », ou, propos directement inspirés par Bréal : « [l’élève] trouvera plus de douceur à son foyer, plus de charmes et plus de grandeur à sa Province et il en aimera davantage la France […] ».
↑P XXXV, Grammaire provençale.
↑La date précise n’est malheureusement pas claire dans le recueil LE 5792, p. 4. Savinien y réfute les déclarations du député d’Aix « ultra radical » Edouard Lockroy, qui avait dit à la Chambre : « Il existe encore ça et là certains patois ou dialectes qui sont restés comme les épaves des nationalités disparues, Eh bien ! les congrégations et l’Eglise s’étudient à faire revivre ces dialectes, à les conserver, à leur redonner l’existence, à empêcher la langue française de les détruire en se propageant. »
↑7.Le terme alors désigne l’ensemble des membres de l’enseignement public, sans distinction de niveau. ↑
8.Boutan (2009). ↑
9.Pièce 11 du Recueil « Principales brochures… » : Félibrige / Occitania Revue mensuelle publiée à Montpellier par la Maintenance du Languedoc/ tome premier/ Année 1888 Août/ Montpellier : Imprimerie centrale du Midi /1888, pp 285-304.
Article occupant les pp. 285 à 297 : « De l’Utilisation des dialectes provinciaux pour l’enseignement du français », signé S, avec en exergue : « Le patois (le dialecte provincial) est le plus utile auxiliaire de l’enseignement du français ». Michel BRÉAL. A la fin on trouve l’addition suivante : « L’étude que l’on vient de lire remonte déjà à plusieurs années ; elle fut adressée en manuscrit à M. Frédéric Mistral qui répondit à l’auteur par la lettre suivante [suit la lettre du 24 janvier 1884 qui fait allusion à l’exposé devant le « Comité supérieur de votre ordre », soit la lettre publiée dans L’étoile du Midi d’Arles en 1884, voir LE 5792, p. 19, lettre citée ci-dessous].
↑10.L’étoile [du Midi], Arles, 27 janvier 1884. ↑
11. Le Félibrige parisien se réunit tous les ans à Sceaux, en l’honneur du méridional Florian, et invite une personnalité : Renan, France, Simon…
12. Texte cité d’après la Revue Félibrénne, 1890, p. 157.
13. LE 5792, p. 55. Le même recueil (p. 115) contient une lettre de félicitation d’Arnavielle, du 21 sept 1890 : « Avès remouchina Moussu Breal, tout Moussu Breal que siègue, e avès bèn fa. » « Vous avez mouché Monsieur Bréal, tout Monsieur Bréal qu’il soit, et vous avez bien fait. »
14. Lettre en français, signée Prosper l’Eté. Recueil LE 5792 (p. 79).
15. Une lettre d’approbation de la méthode signée par Léon XIII datant de 1894ouvre le texte, avant une préface de Mistral, publié à Montpellier en 1902 (cf. Bibliographie).
16. Où il succède à Ferdinand Buisson.
17. L’événement a fait l’objet d’articles dans vingt journaux parisiens et quatorze journaux de province, indique le Manuel général (« Les dialectes locaux à l’école », 14 novembre 1896, p. 403, article signé A. B.)
18. Dixit le supplément de La Croix du 8 août 1900, « Educateurs populaires », signé A. C. Si l’on se fie au moteur de recherche de Gallica, c’est la première fois que le nom de Savinien est cité dans le grand journal catholique (créé en 1880).
19. Éléments de pédagogie pratique à l’usage des frères des Ecoles chrétiennes I Partie générale Paris Procure générale 1901 442 p ; Éléments de pédagogie pratique à l’usage des frères des Ecoles chrétiennes II Paris Procure générale 1901 514 p.
Voir le prospectus de souscription (document CEDRHE, prospectus inséré dans un tiré à part de la revue Lou rampeu, Lou prouvençau a l’escolo, Veisoun, C. Roux, 1909).
]]>Sources
Voir les œuvres du frère Savinien dans le catalogue collectif occitan, Lo Trobador
Références à Savinien [ordre chronologique]
Travaux contemporains
Perre, Margueritte
Marguerite Perre est l’élève de Blanche Selva, musicienne réputée, disciple et amie de Vincent d’Indy et de Deodat de Séverac qui lui fait partager ses idées régionalistes, car elle se dit « catalane de race » et vit de 1926 à 1936 à Barcelone.
Marguerite Perre est présente à la Journée musicale en l’honneur de Blanche Selva qui a lieu le 30 août 1926. Cette manifestation, à laquelle participent de nombreux élèves professeurs venus de pays divers, est une démonstration de l’enseignement de Blanche Selva dans son domaine du Mas del Sol, près de Brive (école d’été auquel Melle Perre a peut-être participé), suivie d’un concert au théâtre de Brive. Cette journée fait partie des manifestations demandées par la municipalité de Brive, en accord avec la Fédération Régionaliste de France, à l’occasion de son Congrès régional à Brive (28 août- 3 septembre).
En 1934, elle effectue un voyage à Barcelone. À l’Académie de Musique elle rencontre Joan Llongueres, une connaissance de Pierre Rouquette. Avec ce dernier, elle envisage l’année suivante de réaliser « une traduction du catalan au français du livre de Blanche Selva sur les Sonates de Beethoven ».
En 1939, elle se repose à St Barthélémy-le-Pin (Ardèche). Elle lit alors La Legenda d’Esclarmonda. Cette œuvre en occitan de Valèri Bernard, (publiée en 1936 par la Societat d’Estudis Occitans et imprimé à Barcelone par l’Oficina de Relacions Meridionals de Josep Carbonell), l’« emballe beaucoup ».
Lorsque Pierre Rouquette organise en 1938 à Marseille le Comité de Secours aux Intellectuels Catalans, Marguerite Perre participe à l’œuvre. Elle donne son obole, puis logera à son domicile en Avignon, 15, rue Banasterie, entre 1940 et 1942, le sculpteur catalan en exil Enric Casanovas (1882-1948). En effet, Pierre Rouquette accueille des intellectuels républicains qui ont fui la dictature de Franco ; il leur sert de boîte aux lettres et centralise les informations de la communauté dispersée. Ainsi le poète Carles Riba et sa famille sont logés un temps à Marseille chez les demoiselles Tellier et Guiot. Grâce à Pierre Rouquette, Marguerite Perre fait ainsi la connaissance d’intellectuels catalans, comme Francesc Trabal. Josep Pous i Pagés ou Carles Riba. Elle gardera contact avec certains ou demandera de leurs nouvelles.
Louis Gros, provençaliste et imprimeur typographe chez Aubanel à Avignon, écrit à son ami Pierre Rouquette le 29 décembre 1941 : « ai travaia a uno charradisso que Mademisello Perro me demandavo per un groupamen souciau feminin ». Nous n’en savons pas plus. Cette information pourrait suggérer de la part de la musicienne un engagement civique.
Pierre Rouquette, qui a animé une section provençale de la Societat d’Estudis Occitans (SEO) avant la guerre, fonde et dirige à la Libération le Centre d’Etudes Provençales du nouvel Institut d’Estudis Occitans (IEO) plus tard appelé Centre Provençal d’Etudes Occitanes. Il conçoit le Centre comme une institution de caractère universitaire fédérant des groupes d’études provençales dans les domaines les plus divers : langue occitane d’abord, mais aussi histoire, civilisation, droit, art, musique, folklore… destinée à donner corps à une culture occitane globale porteuse d’avenir, en s’inspirant de l’exemple de la Catalogne. Dans cet esprit, il a le projet d’un « Concert de musique occitane, par Marguerite Perre », parmi les manifestations prévues par le Centre Provençal pour l’année scolaire 1945-46. Le secrétaire général de l’IEO, Ismaël Girard, dans sa présentation de l’IEO rédigée le 29 octobre 1945 (7 pages multicopiées), fait état du projet.
La correspondance avec Pierre Rouquette nous informe par ailleurs de deux interventions de la musicienne en 1945. Elle illustre au piano une conférence sur Chopin. En 1945 elle participe à la fête provençalo-catalane qui a lieu à Saint-Rémy le dimanche 30 décembre. Cette manifestation de fraternité est organisée par le peintre catalan réfugié Franch-Clapers. La professeure de musique y interprète notamment des sardanes et dirige une chorale d’enfants chantant des chants provençaux (pour cela elle sollicite Pierre Rouquette pour qu’il traduise certains chants du catalan en provençal).
Le projet musical prévu en 1945 se concrétise deux ans plus tard par un « Récital de Piano donné par Mademoiselle Marguerite Perre, le Mardi 6 Mai 1947, 15 Rue Edouard-Delanglade, Marseille » sous l’égide de l’ «IEO Centre Prouvençau ». Le récital fait la part belle à Vincent d’Indy, tandis que Lluis Millet, Joan Manen, J. Garreta, Enric Morera, Olivier Messiaen (né à Avignon en 1908), Déodat de Séverac, Gabriel Fauré et Emmanuel Chabrier complètent cette soirée régionaliste.
En dépit de la minceur des sources - essentiellement la correspondance reçue par Pierre Rouquette – s’esquisse le portrait d’une musicienne régionaliste, femme de progrès, qui apporta sa contribution à la vie culturelle occitane.
Karine, France
- Mytyl Fraggi (pseudonyme)
En 1938, France Karine participe à la Deuxième concentration de Culture et de Fraternité Provençales, qui se tient à l’« Auberjo de Jouinesso de Marsiho-Alau », à Allauch, Place Pierre Bellot, du samedi 17 septembre au samedi 24. Cette réunion est organisée par Jorgi Reboul, Père aubergiste, fondateur (le 26 septembre 1936) et animateur de l’Auberge de Jeunesse, affiliée au Centre Laïque des Auberges de Jeunesse.
Le vendredi 22 septembre, à la suite de l’excursion en car à la Sainte-Baume, est proposée une « Veillée sur la Terrasse : La Musique et le Peuple, par FRANCE KARINE, Directrice de la Chorale Populaire. Audition de disques ».
France Karine participe également à l’animation de la Troisième concentration de Culture et de Fraternité Provençales. Pâques 1939, du samedi 8 au mardi 11 avril, qui est en même temps le Congrès organisé par le journal Occitania.
France Karine, directrice de la Chorale Populaire, appartient au milieu progressiste des intellectuels et artistes marseillais. Sa participation aux rencontres d’Allauch prouve une sensibilité provençale, voire un engagement occitaniste. Elle a sans doute participé au Comité d’Aide aux Intellectuels Catalans, fondé à Marseille le 7 avril 1938 par Pierre Rouquette et Jorgi Reboul car son nom figure sur la liste manuscrite établie par Pierre Rouquette des personnes à inviter à la réunion du Comité du 30 août 1938 au domicile de Jorgi Reboul, sans que nous ayons la certitude de sa participation.
À la Libération, France Karine dirige la Chorale du Front National et fait partie de l’Union Nationale des Intellectuels – UNI –, structure unitaire fondée à la Libération, encadrant les activités culturelles. Pierre Rouquette, qui a animé à Marseille une active section de la Societat d’Estudis Occitans (SEO) avant la seconde guerre mondiale, fonde et préside le Centre Provençal de l’Institut d’Estudis Occitans, (qui deviendra autonome dans les années 70, quand la section régionale de l’IEO sera assumée par lo Calen). L’assemblée constitutive a lieu le dimanche 14 octobre 1945 dans les salons de l’UNI, 15 rue Edouard Delanglade. Le président sollicite alors France Karine pour que la Chorale se produise à la séance inaugurale en interprétant des chants occitans, choisis par lui, et qu’elle doit apprendre à ses choristes. Ainsi Coupo Santo (à 4 voix), Lou Bastimen, Lou Renegat (Jan de Fonfaron) ont dû faire partie du répertoire le 15 novembre. France Karine et sa chorale interviendront pour d’autres manifestations du Centre Provençal, ainsi le 19 février 1946 pour la causerie de Pierre Rouquette sur les « Noëls de Saboly ».
France Karine est l’épouse d’Alexandre Jouvène, qui tient une galerie Tableaux anciens et modernes à Marseille, Expert près les tribunaux et les Cies d’Assurance. Comme France Karine, Alexandre Jouvène est affilié au Centre Provençal de l’IEO à son origine : c’est lui qui a envoyé – et non le Président Pierre Rouquette empêché par la grippe - l’invitation à l’Assemblée constitutive du Centre pour le 14 octobre 1945, signée par « un membre de la Commission », Alexandre Jouvène, sur papier à en-tête « Tableaux anciens et modernes Alexandre Jouvène ». En l’état actuel de la documentation, nous ignorons si l’engagement occitaniste du couple s’est poursuivi.
Lazarino de Manosco (pseudonyme ; forme référentielle occitane) = Lazarine de Manosque (psseudonyme ; forme référentielle française)
< Nègre, Madeleine Lazarine (forme complète d'état civil)
Sa mère était à sa naissance la Citoyenne Marianne Bonéti et le surnom de son père Lazare, Mirabeau, fait foi de ces opinions révolutionnaires.
Elle va à l’école chez les sœurs où elle apprend le français. Elle accepte de se marier à 15 ans, parce que ses parents lui demandent son avis, avec Antoine Eugène Pourcin, son ainé de 15 ans, qui considère sa femme comme son valet.
Elle place alors son espoir dans le désir d’être mère, mais son seul enfant meurt en bas âge. Sa misère et ce deuil cruel la poussent à écrire, d’abord en français, puis en provençal. Divorcée dès que la loi le permet à nouveau, elle devient volaillère à Marseille, au marché des Capucins, aidée par sa sœur qui a eu un enfant hors mariage qu’elles élèveront ensemble.
Elle meurt en 1899, après s’être retirée avec sa sœur dans sa Villa Magali sans être retournée à Manosque où elle avait d’abord envisagé de passer sa retraite. Elle fut redécouverte par Claire Frédéric, alors journaliste à La Marseillaise, en 1986.
D’après sa correspondance, le goût pour le provençal lui est (re)venu en écoutant à Marseille les prêches du père Xavier de Fourvière à l’église Saint Laurent. Sa correspondance avec Frédéric Mistral et Paul Arène témoigne d’une grande franchise et d’une grande liberté de ton. Elle était membre du Félibrige et a soutenu auprès de Mistral, notamment en matière de graphie, les jeunes rédacteurs de La Sartan qu’elle recevait chez elle.
En 1903, sa sœur fera publier ses écrits parus en revues et ses lettres avec une préface d’Élzéar Rougier.