Anglade, Joseph (1868-1930)
- Jan-Pierre (Pseudonyme)
Joseph Anglade fait ses études au Petit Séminaire de Carcassonne, puis au lycée de Toulouse. Étudiant à Toulouse puis Montpellier, il obtient ses grade de licencié en 1892 puis d’agrégé en 1896.
À Montpellier, il fait la rencontre de celui dont il sera l’élève puis le plus fidèle disciple Camille Chabaneau. Il part ensuite étudier deux ans en Allemagne, alors le foyer incontournable de la connaissance des troubadours.
À son retour en France il enseigne au Collège de Béziers puis aux lycées de Tulle, La Roche-sur-Yon, Montpellier et Bordeaux.
En 1905 il soutient sa thèse sur le troubadour Guiraud Riquier, un des derniers troubadours occitans né vers 1230 à Narbonne et mort vers la fin du XIIIe siècle. Il est alors nommé à Nancy où il était déjà suppléant, puis l’année suivante à la Faculté de Rennes. C’est finalement en 1910 qu’il assure la succession d’Antoine Thomas et Alfred Jeanroy à la Faculté de Toulouse où il demeure en poste jusqu’à sa retraite.
En 1914, il fonde l’Institut d’Études Méridionales sur le modèle des séminaires allemands, il y prend en charge l’enseignement de la philologie. Il intègre parallèlement à cette activité les plus prestigieuses Académies toulousaines comme la Société Archéologique du Midi de la France en 1910, l’Académie des Jeux Floraux en 1911 et l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres en 1918. La même année il devient majoral du félibrige.
Bourciez, Édouard (1854-1946)
< Bourciez, Édouard-Eugène-Joseph (1854-1946) (nom complet d'état-civil)
Édouard Eugène Joseph Bourciez est né à Niort, dans les Deux-Sèvres, le 29 janvier 1854, dans une famille d’enseignants. Élève brillant, il est admis en 1873 à l’École Normale Supérieure, licencié ès-Lettres l’année suivante puis agrégé en 1876. Il entame alors une carrière dans l’enseignement secondaire comme professeur au lycée de Bar-le-Duc, puis à Orléans. Son premier contact avec la terre d’Oc sera à Nice, où il sera nommé ensuite. Il enseignera également à Nancy.
Son retour en Occitanie se fera en 1883 : il est alors nommé maître de conférence à la faculté de Lettres de Bordeaux, institution et ville qu’il ne quittera plus. Il soutient en 1886 sa thèse de doctorat en français sur Les Mœurs polies et la littérature de cour sous Henri II complétée, comme le voulait alors le règlement pour les universitaires exerçant en Lettres, par une seconde thèse, en latin : De Praepositione "ad" casuali in latinitate aevi merovingici, thesin Facultati litterarum Parisiensi. Il devient en 1890 professeur-adjoint, puis en 1893 professeur des universités, en charge de la toute neuve chaire de Langue et littérature du Sud-Ouest.
C’est dans la grande ville gasconne que Bourciez commence véritablement à s’intéresser à l’idiome occitan, et en particulier à sa forme gasconne bordelaise à partir du début des années 1890. Ce romaniste possède alors déjà à son actif un certain nombre de travaux sur la grammaire du latin, du français ancien et moderne, sur la littérature occitane - déjà - et espagnole, sur la phonétique et la phonologie... Son activité couvre l’ensemble du domaine roman. En plus de soixante ans d’une carrière exceptionnellement riche, Édouard Bourciez s’est intéressé à une infinité de choses, mais ce sont les études gasconnes qui vont constituer, de plus en plus, le cœur de son action d’enseignant-chercheur à partir de sa nomination à Bordeaux, sans toutefois rien dédaigner de l’ensemble de son domaine d’étude. C’est de Bordeaux qu’il lancera son enquête linguistique en 1894. Jusqu’à ses vieux jours, il conservera une activité de publication et de recherche, relisant et corrigeant ses œuvres en vue de rééditions. Il décède à Bordeaux le 6 octobre 1946, à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Son successeur de chaire, Gaston Guillaumie, lui consacre un article nécrologique qui retrace son parcours. Son fils, Jean Bourciez, fut aussi un universitaire de renom, auteur de travaux sur la langue occitane tels que sa thèse intitulée Recherches historiques et géographiques sur le parfait en Gascogne (Bordeaux, Féret, 1927). Il œuvra aux côtés de son père pour les derniers travaux de celui-ci.
Il sera traité plus loin de la bibliographie très abondante d’Édouard Bourciez, qui recouvre une période de soixante-cinq années de son vivant, sans compter les nombreuses rééditions posthumes. Si sa première contribution avérée aux études occitanes est un article paru dans la première livraison des Annales de la faculté des Lettres de Bordeaux (1888) consacré aux œuvres du poète Arnaud Daubasse (1664-1727), « maître-peignier » originaire de Villeneuve-sur-Lot, c’est au domaine gascon et particulièrement à Bordeaux que Bourciez va se consacrer très rapidement. Bourciez est issu d’une des dernières générations qui ont connu la pratique courante et quotidienne de l’occitan dans les rues de Bordeaux, et davantage encore dans sa banlieue et la campagne environnante. Ses connaissances de philologue et de romaniste vont très rapidement lui permettre de mettre au point un croisement entre approches synchronique et diachronique de l’occitan bordelais, en comparant ce que lui donnent les sources de l’époque médiévale à son temps, à ce qu’il peut entendre tout autour de lui. Notons également que Bourciez arrive à Bordeaux dans un contexte plutôt favorable à la valorisation de la « langue gasconne » aussi bien par sa présence dans la réalité quotidienne, mais aussi par l’existence d’un certain nombre de gens de lettres et d’universitaires très attirés par son étude. La municipalité de Bordeaux encouragea plusieurs publications sur l’histoire et la culture locales, dont la célèbre Histoire de Bordeaux de Camille Julian, confrère de Bourciez à la faculté, historien très au fait de l’identité gasconne bordelaise. Mais nous pouvons citer également Jules Delpit, Achille Luchaire, les abbés Hippolythe Caudéran et Arnaud Ferrand (et le cénacle de prêtres occitanophiles qui l’entourait), Léo Drouyn ou encore Reinhold Dezeimeris. Nous voyons paraître dès 1890 dans les mêmes Annales de la faculté de Lettres « La Conjugaison gasconne d’après les documents bordelais », qui reprend une partie d’une plus vaste étude, demeurée manuscrite et dont une copie est conservée à la Bibliothèque universitaire de Bordeaux sous le titre Étude sur le dialecte gascon parlé à Bordeaux vers 1400 d’après le Livre des Bouillons, les registres de la Jurade et les chartes de l’époque, sans date ni nom d’auteur, mais dont le doute concernant l’attribution à Bourciez n’est pas permis. Cette étude, qui ne demande qu’à être publiée, représente la synthèse diachronie/synchronique précédemment évoquée, au moyen d’un croisement très rigoureux des sources anciennes et modernes. En 1892 paraît La Langue gasconne à Bordeaux : Notice historique, qui est d’abord intégrée à une monographie publiée par la municipalité de Bordeaux, avant de connaître des rééditions dans les années 2000. Suivent « Les documents gascons de Bordeaux de la Renaissance à la Révolution » qui paraît en 1899 dans les Actes de la Société Philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouest, puis en 1901 Les mots espagnols comparés aux mots gascons (époque ancienne). Mais parallèlement, Bourciez continue à étudier la linguistique romane, la phonétique et la syntaxe du français ancien et moderne, mais aussi des dialectes d’Oïl comme le parler « gavache », auquel il consacre quelques travaux. En 1936 paraît Le domaine gascon (Droz). Bourciez contribue activement pendant ce temps à des publications aussi prestigieuses que le Bulletin hispanique, la Revue critique, la Revue des études anciennes, et pour en rester au domaine occitan, la célèbre revue Reclams (il sera un des codificateurs de la norme félibréenne béarnaise et gasconne en trois étapes, 1900, 1902 et 1904), les Annales du Midi, la Revue des universités du Midi, la Revue des Pyrénées et de la France méridionale ou les bordelaises Revue méridionale et Aquitania.
Édouard Bourciez est surtout connu pour sa colossale enquête linguistique, lancée en 1894 et connue sous le nom d’Enquête Bourciez, quoique son titre d’origine soit le Recueil des idiomes de la région gasconne. Prévue, nous dit-il dans la préface du manuscrit pour l’Exposition universelle prévue à Bordeaux en mai 18951, elle se donne pour propos de réunir et offrir au public des specimens des idiomes actuellement parlés dans le Sud-Ouest de la France, et plus particulièrement de ceux qui se rattachent aux diverses variétés de la langue Gasconne.
Ces dix-sept volumes manuscrits conservés à la Bibliothèque universitaire de Bordeaux, dans leur version papier originale et en copies microfilm, se basent sur un texte déjà utilisé précédemment pour les enquêtes linguistiques, la Parabole du fils prodigue, dans une forme revisitée par l’universitaire afin d’obtenir tous les types de mots et de formes qu’il juge nécessaires pour avoir une sorte de photographie en un temps T de l’idiome pratiqué dans chaque commune des zones concernées. La parabole est donc adressée à tous les instituteurs de chaque ville et village des académies de Bordeaux et Toulouse (pour sa partie gasconne), par l’intermédiaire des inspecteurs d’académie et inspecteurs primaires. Le soin est laissé ensuite aux enseignants de traduire eux-mêmes le texte, ou de se faire aider par qui leur convient localement. Il reçut en retour 4 444 réponses2 , principalement de la zone occitane, mais aussi de la zone basque et de quelques communes de dialecte d’Oïl. Cette enquête est à ce jour inédite pour sa partie occitane (Charles Videgain ayant œuvré à la publication de la partie bascophone). Elle constitue un document essentiel et incontournable pour comprendre la variation diatopique de l’occitan occidental, et plus généralement pour permettre une pensée de la dialectologie occitane.
Mais Bourciez est également l’inventeur du code de transcription phonétique appelé « alphabet de Bourciez » ou « de Boehmer-Bourciez » ou encore « alphabet » ou « transcription des romanistes », qui constitue une des premières tentatives d’un alphabet phonétique de transcription. Pensé pour les langues romanes et le grec, il reprend certains éléments de la norme d’écriture de l’occitan que proposait dès 1860 Hippolythe Caudéran (que Bourciez cite à plusieurs reprises). Notons qu’il est contemporain des premiers essais de l’API (qui paraît pour la première fois en 1888 sous la direction de Paul Passy). Bourciez s’est intéressé de près aux travaux de l’abbé Rousselot sur la phonétique expérimentale, et bien sûr à ceux de son confrère suisse Jules Gilléron, avec la publication entre 1902 et 1910 de l’Atlas linguistique de la France. L’alphabet de Bourciez, toujours utilisé ponctuellement pour l’ancien français, est celui qui a été notamment employé pour les transcriptions de l’Atlas linguistique de la Gascogne de Jean Séguy, Jacques Allières et Xavier Ravier.
Mais Édouard Bourciez ne s’est pas contenté d’illustrer de ses recherches les études occitanes. Cet homme de la Sèvre niortaise, parisien d’études et de jeunesse, affecté en plusieurs endroits au début de sa carrière, s’est définitivement fixé à Bordeaux où il est devenu un militant de la défense de la langue occitane, s’identifiant totalement à son nouvel espace de vie gascon auquel il a consacré certains de ses travaux les plus célèbres. En cela, Bourciez est l’incarnation parfaite et anticipée de ce qu’affirma bien des années plus tard Félix Castan : « On n’est pas le produit d’un sol, on est le produit de l’action qu’on y mène ». Son engagement aux côtés des pionniers de l’enseignement de l’occitan, et plus généralement des langues dites régionales, est moins connu. Signataire de pétitions quand le besoin s’en faisait sentir, Bourciez fut en outre un auxiliaire précieux pour l’instituteur Sylvain Lacoste, de l’Escole Gastou Fébus, un des premiers enseignants à avoir activement milité pour que le « patois » fût enseigné à l’école à côté du français. Auteur en 1900 de l’ouvrage fondateur Du patois à l’école primaire (Pau, Vignancourt), dont les deux premières parties paraissent également dans Reclams, Lacoste publie en 1902 un Recueil de versions gasconnes préfacé par Bourciez, caution morale et scientifique de la démarche. L’enseignement de la langue d’oc à l’école connaît un véritable engouement à cette époque, en particulier en Gascogne, auprès de nombreux enseignants. Bourciez, par son prestige universitaire et le poids de sa parole, n’y est sans doute pas étranger. En 1942, Bourciez, en fin de vie, sera encore le préfacier de la Bibliographie gasconne du Bordelais de Pierre-Louis Berthaud. Il y laisse transparaître sa foi en l’avenir de l’occitan et ses espoirs, à travers les propos que Berthaud lui-même cite onze ans plus tard à la fin de son ouvrage La littérature gasconne du Bordelais :
« Dans la partie la plus septentrionale de la zone gasconne, l’idiome des ancêtres s’est conservé au cours des siècles et a laissé, de sa pérennité, des témoignages qui, pour être à de certains moments assez clairsemés, n’en sont pas moins incontestables. Il vit toujours, malgré la puissante emprise qu’exerce sur lui la langue française : il vit, il est parlé, fort peu évidemment dans les villes, même parmi les classes populaires, mais encore d’une façon très courante dans les campagnes. Il se parle, donc il peut aussi s’écrire. D’ailleurs, qui connaît l’avenir ? Qui sait si, quelque jour, il ne donnera pas un éclatant démenti aux prophètes de malheur ? »
1. Le catalogue de l’exposition (Bordeaux, Gounouilhou, 1895) ne contient cependant aucune allusion au gascon et encore moins aux travaux de Bourciez. ↑
2. Sur 4414 communes, certaines ne répondant pas mais d’autres ayant envoyé en réponse deux, trois, quatre voire davantage de versions du texte.↑
- Voir les publications de Édouard Bourciez référencées dans
Le Trobador, catalogue international de la documentation occitane
Ronjat, Jules (1864-1925)
- Rounjat, Jùli (forme occitane du nom)
- Guigue Talavernai (pseudonyme)
- Felibre di Lauseto (pseudonyme)
- Félibre des Alouettes (pseudonyme)
- Bousoun di Vergno (pseudonyme)
Antoine-Jules Ronjat est né le 12 novembre 1864 à Vienne dans l’Isère d’Abel-Antoine-Jules Ronjat (1827-1892), procureur général à la cour de cassation, maire de Vienne (1878-1880), sénateur de l'Isère (1879-1884), président du Conseil général de l’Isère (1887-1892) et de, Marie-Jeanne Chollier. Il se marie le 5 octobre 1907, à Weinheim (Bade-Württemberg, Allemagne) avec Henriette-Ilse Loebell dont il aura deux enfants Louis-Siegfried-Wilhelm (1908-1934) et Pierre-Marie-Jules (1910-1910).
Jules Ronjat suit ses études au collège Rollin à Paris avant d’être reçu bachelier ès-lettres en 1881. Il devient avocat à la cour d’appel de Paris, puis au barreau de Vienne. Il sera l’un des fondateurs de l’Escolo parisenco dóu Felibrige (1894) et de la Ligue de décentralisation (1895) avant de devenir majoral du Félibrige le 22 mai 1904 (Cigalo de Zani). Sous le capouliérat de Pierre Devoluy, il exerce les fonctions de secrétaire général du Félibrige (baile dóu counsistòri) de 1902 à 1909. Docteur ès-lettres en 1913, il quitte la France dès le déclenchement de la guerre, en raison de l’origine allemande de sa femme. Il se réfugie alors à Genève où il enseigne de 1915 à 1925 comme privat-docent. Il meurt à Lyon le 16 janvier 1925 et est enterré dans le caveau familial du cimetière de Vienne.
Jules Ronjat est un linguiste qui s’est attaché à l’étude scientifique de la syntaxe des parlers occitans modernes et qui a mis en évidence les notions d’intercompréhension et de bilinguisme. C’est en suivant l’évolution des progrès langagiers de son fils exposé à plusieurs langues maternelles (français, allemand, franco-provençal) qu’il parvient à dévoiler en pionnier, les avantages du bilinguisme précoce chez l’enfant.
Parallèlement, Jules Ronjat étudie des textes anciens et l’histoire de la langue d’oc. Ses travaux seront recueillis dans sa Grammaire Istorique des parlers provençaux modernes publiée après sa mort, à partir de 1930. Après avoir collaboré à la revue félibréenne L’Aiòli, il collabore, entre autres publications, à la Revue des langues romanes de 1904 à 1925, au Bulletin de la société de linguistique de Paris, et, sous son nom ou sous le pseudonyme de Bousoun di Vergno, à Prouvènço / Vivo Prouvènço ! Poète à ses heures, il y publie aussi poèmes, chansons ou traductions.
Voir toutes les œuvres de Jules Ronjat dans:
Le Trobador, catalogue international de la documentation occitane
Voir toute la documentation sur Jules Ronjat dans :
Le Trobador, catalogue international de la documentation occitane
Auzias, Jean-Marie (1927-2004)
- Auzias, Joan-Maria (forme occitane du nom)
- Auziàs, Joan-Maria (forme occitane du nom)
- Ausias, Joan Maria (forme occitane du nom)
- Ausiàs, Joan Maria (forme occitane du nom)
Né à Grasse le 12 mars 1927 dans une famille modeste, d’un père cannois parlant provençal et d’une mère occitanophone de Vinadio, Jean-Marie Auzias se revendiquera toujours de cette origine provençale. Il fait ses études secondaires, laïques et chrétiennes, comme il disait, au collège municipal puis, en 1945, entre en hypokhâgne au lycée du Parc à Lyon et rejoint la Jeunesse étudiante chrétienne. Très intéressé par la philosophie et l’anglais, il continue ses études dans cette voie, les élargissant à d’autres langues et à la littérature.
Professeur agrégé de lettres modernes, il enseigne la philosophie au lycée de la Martinière à Lyon, puis, de 1966 à 1992, l’anthropologie au Centre des humanités de l’Institut national des sciences appliquées de Villeurbanne et à l’Institut d’études politiques de Lyon. Sa carrière sera couronnée par l’obtention en 2002 d’une thèse de doctorat en anthropologie à l’Université Lumière Lyon 2 sur le sujet Textes fondateurs et cultures populaires : jalons pour une anthropologie littéraire.
Père de quatre enfants, il se déclare, dans sa fiche individuelle d’adhésion au club Millénaire3, attentif aux problèmes pédagogiques et se présente comme un « voyageur impénitent amoureux des langues étrangères et de l’art de tous les pays ». Membre de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon et de l’Académie rhodanienne des lettres, Jean-Marie Auzias est décédé à Lyon le 16 février 2004.
Philosophe, Auzias consacre d’abord sa réflexion aux liens entre philosophie et technique (La philosophie et les techniques, 1965 ; Clefs pour la technique, 1966), puis au structuralisme (Althusser, Lacan), au matérialisme dialectique et au marxisme (Structuralisme et marxisme, 1970). Comme on verra, il fut d’ailleurs bien plus qu’un simple « compagnon de route », comme on disait alors, du Parti communiste.
Son Clefs pour le structuralisme publié par Seghers en 1967, trois fois réédité (en 1968, 1971 et 1974), fait autorité. On ne sait peut-être pas suffisamment que Jean-Marie Auzias figure aux côtés de Michel Foucault, Jacques Lacan, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Gaston Berger et autres grands noms de la philosophie française, dans l’Histoire du structuralisme de François Dosse (2 vols, 1991-1992).
Il s’intéresse également à l’anthropologie, aux problèmes de méthodologie que pose cette discipline récemment constituée en science autonome. Au lendemain de son affectation à l’INSA, il crée en 1967 le Cercle d’anthropologie de l’INSA où il aiguisera sa réflexion avant de la formaliser dans L’Anthropologie contemporaine : expérience et système, publié aux Presses universitaires de France en 1976. Il s’interroge en particulier sur la manière dont se développe le concept de culture, la nécessaire prise en compte des spécificités régionales et de l’altérité individuelle.
Cet intérêt pour la philosophie et l’anthropologie culturelle, au croisement de l’ethnologie et de la sémiotique, ne se démentira pas puisqu’il continuera à produire des ouvrages de critique philosophique comme son Michel Foucault (1986) ou encore son Michel Serres, philosophe occitan (1992).
L’homme de lettres s’illustre d’abord en français par divers recueils de poésie et articles de critique littéraire et de critique d’art : pour ses commentaires, préfaces ou postfaces, les Luc Decaunes, Raoul Bécousse, Jean Chaudier, Christian Perroud, ceux de Visages des mots (1985) et bien d’autres, savent ce qu’ils lui doivent. Et on va retrouver cet esprit vif, brillant et incisif, avec tout le brio polémique que lui permettait sa vaste culture, jusque dans ses dernières créations romanesques, comme son Café solo (1998), « à nul autre pareil », selon Paul Gravillon, ou son faux roman policier délirant Vous trouverez jamais, c’est tout droit ! (2004), écrit en collaboration avec Bernard Frangin et préfacé par le même Paul Gravillon.
Puis il y a le traducteur. De l’anglais en occitan, avec les textes du socialiste irlandais James Connolly et du révolutionnaire écossais John MacLean dans l’ouvrage collectif Marxistes et Nacions en lucha publié par Fédérop, la maison d’édition de son ami occitaniste lyonnais Bernard Lesfargues dont il traduit en français le recueil de poèmes Cor prendre (1965). Il donne aussi, toujours avec Bernard Lesfargues, cette remarquable traduction française de la narration par l’Espagnol Álvar Núñez Cabeza de Vaca de la découverte des Indiens d’Amérique au XVIe siècle qui constitue un véritable succès de librairie réédité chez Actes Sud (Relation de voyage, 1979, 1980, 1989, 1994, 2008).
Créateur enflammé, à l’humour distancié, souvent décapant, ne dissociant pas la pensée de l’action, Jean-Marie Auzias sut également être présent dans la cité. Militant culturel et civique, comme il se définissait lui-même, il anime dès 1966 l’association Connaissance du théâtre. En 1997, il participe avec Michel Cornaton à la création du groupe autonome d’expression libre Les Neveux de Rameau et organise en ville débats et conférences1.
Et on va le rencontrer partout où son travail en anthropologie urbaine lui permet d’apporter un éclairage sur les problèmes de la ville, aux côtés des handicapés aussi bien que dans le cadre du collectif Millénaire3 du Grand Lyon où il exprime ses préoccupations concernant la cohésion sociale, la participation du citoyen, la promotion des identités contraire au repli identitaire. On le retrouve de même à interpeller le Conseil de développement sur les grands projets culturels de l’agglomération lyonnaise. Et, toujours dans son rôle d’accoucheur de réflexion, il ira jusqu’à tenir salon chez lui, des années durant, entre Saône et Rhône, où se pressait le Tout-Lyon intellectuel en enjambant les livres…
L’engagement militant de cet humaniste actif se traduit également au niveau politique. Après la JEC, il adhère en 1952 au Parti communiste dont il est exclu en 1962 pour son soutien au FLN. Il réadhère en 1974, mais quitte le Parti au milieu des années 1980 pour entrer au Grand Orient de France2. Et, simultanément, il met très tôt son sens de l’engagement au service de l’occitan, une langue reconquise qu’il qualifie pour lui-même « de remémoration et d’apprentissage ».
Au contact du Félibrige dès les années 1943-1944, il avait retrouvé le provençal l’été lors des travaux agricoles pendant sa vie d’étudiant. Par la suite, il avait rencontré Pierre Bec et Bernard Lesfargues en 1958, puis d’autres auteurs occitans, Robert Lafont, Max Rouquette, Bernard Manciet, Félix Castan, Jean Larzac, Léon Cordes, Xavier Ravier, Pierre Pessamesse, autant d'échanges qui le déterminent à écrire en oc.
Il enseigne – bénévolement – l’occitan à l’INSA et, avec Quasern grassenc (1971), renoue avec Grasse où il animera des ateliers dans le cadre des Rescòntres Internacionaus Occitans organisés par Georges Gibelin de 1978 à 1984. Et, dès lors, il participera aussi aux divers stages et rencontres de formation occitanistes, là encore animant débats et ateliers ou donnant des conférences (Escòla occitana d’estiu de Villeneuve-sur-Lot, Rescòntres occitans en Provença, universités occitanes d’été, en particulier Nîmes en 1986, 1990, 1994).
Car, dit-il, « siam militants occitanistas3 ». En 1974, il est membre de Lutte occitane et fait partie du collectif de rédaction de la revue Occitania passat e present, sous la direction de Jean-Claude Peyrolle. De 1976 à 1980, sous la présidence de Pierre Bec, il est membre du Conseil d’administration de l’Institut d’estudis occitans et, de novembre 1976 à octobre 1979, responsable du secteur « Espandiment ». Il affirme son soutien au manifeste du 27 octobre 1978, « Mon país escorjat », initié par Robert Lafont, Jean-Pierre Chabrol et Emmanuel Maffre-Baugé, moment fort de convergence entre communistes, syndicalistes et occitanistes dans le combat pour « Vivre, travailler et décider au pays ». En février 1979, il est parmi les fondateurs de la section régionale Rhône-Alpes de l’IEO où, en compagnie de Bernard Lesfargues, il veut représenter les Occitans de Lyon.
Lors de l’assemblée générale de l’IEO d’Aurillac, les 1er et 2 novembre 1980, J.-M. Auzias est candidat au Conseil d’administration et au poste de Vice-Président à la création sur la liste « Per l’alternativa », présidée par Guy Martin, contre la liste « Per un IEO non dependent » présidée par Patrick Choffrut, qui l’emportera. Dès lors, suite à la division du mouvement, il adhère tout naturellement à l’Association internationale d’études occitanes qui se crée en 1981.
En janvier 1982, il est, dès sa fondation aussi, membre du comité de rédaction de la revue Amiras / Repères occitans jusqu’à son extinction en juillet 1984. Il participe également, au printemps 1982, à la création des Obradors occitans – qui « ont pour objectif de regrouper tous les acteurs et producteurs de la culture occitane » (Programme 1984-1988, p. 2) – et figure comme membre du conseil d’administration, délégué régional pour « l’endefòra » [‘l’extérieur’], poste auquel il sera reconduit lors de l’assemblée générale du 28 octobre 1984.
Militant inlassable, on le voit, J.-M. Auzias est de toutes les réunions importantes où ses interventions suscitent la réflexion et orientent les prises de décision. « Là où trois ou trente ou trois cents occitanistes se réunissent, il est bien probable que vous le trouverez : vous le reconnaîtrez à son verbe et à sa verve », dit de lui Bernard Lesfargues en 1984, en quatrième de couverture du Manjatèmps.
Mais, pour lui, le combat occitaniste passe aussi par le développement de la littérature. Tel est le sens de sa présence active, toujours à côté de Bernard Lesfargues, au sein du comité de rédaction de la revue Jorn (1980-1986) qui entend donner la parole aux auteurs de la nouvelle génération et contribuer ainsi au renouveau de l’écriture en occitan.
Et c’est, bien sûr, son Occitanie natale que convoque le poète Auzias dans ses écrits littéraires, depuis ses débuts avec son Quasèrn grassenc (1971) jusqu’à ses articles de critique sur Bernard Manciet (1996) ou son travail d’écriture avec des lycéens de Nîmes (Colors, 1997).
Toutefois, et c’est sans doute là la spécificité de cet auteur résolument moderne, bien inscrit dans la réalité de son temps, son militantisme occitaniste est inséparable du combat social dont sa poésie se fait l’écho. Si le mot a un sens – et il en a un – on n’hésitera pas à considérer Jean-Marie Auzias comme un poète engagé. Du côté des « prolétaires », de ceux qui ont « tant trabalhat / davant lei forns per lei borgés » (Lo Manjatèmps, « Aiga de cèu »). Assumant sans vergogne un discours anticapitaliste et anticlérical qui dénonce d’un même élan irrévérencieux l’Église complice et les patrons sur leurs yachts à Saint-Trop’ (Lo Manjatèmps, « Lei taulas de la lèi »), un discours émancipateur qui rejoint le combat anticolonialiste et antimilitariste du temps, au Niger comme au Tchad (cf. Lo Manjatèmps, « NIAMEY-N’DJAMENA »).
Le verbe de cet agitateur d’idées, humaniste éclectique, iconoclaste au besoin mais à la maïeutique féconde, n’échappe pas toujours à l’hermétisme, fruit de sa grande culture anthropologique et de sa connaissance intime des grands mythes fondateurs de l’humanité. Mais cette conscience aigüe du tragique de la condition humaine et de son impuissance l’affranchit de tout pédantisme. Et en définitive, c’est la grande sensibilité d’un homme ouvert et généreux, aussi timide qu’expansif, qui perce derrière l’oxymore désaliénant et jovial de ce provocateur de métier.
Notes
- Amiras / Repères occitans, Aix-en-Provence : Édisud, 1982-1990
- Jorn, [s.l.], Jorn, 1980-1985
- Obradors occitans, Montpellier : Obradors occitans, 1983-1985
- Oc : revista de las letras e de la pensada occitanas, Toulouse : Institut d'études occitanes, 1970-
- Occitania passat e present, Antibes : Lutte occitane, 1974-
- Occitans, Égletons : Institut d'estudis occitans, 197.-198.
- IdRef, le référent des autorités Sudoc [en ligne], URL : http://www.idref.fr/026697645 (consulté le 24 mai 2014).
- Millénaire3, le Centre ressources prospectives du Grand Lyon [en ligne], URL : http://www.millenaire3.com (consulté le 24 mai 2014).
- Parousia [en ligne], URL : http://www.parousia.fr/Bibliotheque/Litterature_Religion/ (consulté le 24 mai 2014).
Lesaffre, Jean (forme référentielle française)
Né à Bayonne d’un père basque ingénieur dans les chemins de fer et d’une mère languedocienne, Jean Lesaffre est élevé dans la foi catholique et suit des études secondaires au collège privé de la Trinité, à Béziers avant de rejoindre l’université de Montpellier dont il sort licencié en mathématiques et docteur en droit après avoir soutenu en 1934 sa thèse Le problème national de la Catalogne et sa solution par la statut de 1932.
Son parcours professionnel le mène à Paris. Mobilisé en 1939, il est fait prisonnier en 1940 et envoyé dans la région de Brême à l’Oflag XB dont il est rapatrié en 1942 pour raison de santé. Catholique pratiquant, très pieux, Lesaffre aurait par ailleurs, dans les années 1930, été proche de l’’Action Française si l’on en croit les archives de Marcel Decremps.
Très impliqué après guerre dans Les Amis de la Langue d’Oc, dans l’occitanisme et rédacteur régulier pour la revue La France Latine, il meurt à Paris en 1975.
S’intéressant à la langue d’oc dès ses études secondaires, Jean Lesaffre s’engage dans la renaissance d’oc lorsqu’il rejoint l’université de Montpellier. C’est là qu’il fonde en 1928, sur le modèle des corporations étudiantes, le Nouveau Languedoc où il est bientôt rejoint par Max Rouquette et Roger Barthe. L’association, très active, recrute rapidement plusieurs dizaines de membres et s’oriente sur la voie de la revendication fédéraliste et la renaissance culturelle sur le modèle catalan.
Par ailleurs, Jean Lesaffre devient à cette époque (de 1930-1932) président de l’association générale des étudiants de Montpellier et bénéficie de 1929 à 1932 d’une rubrique dans Le Petit Méridional, marquant l’influence du Nouveau Languedoc à Montpellier.
L’association a tôt fait de faire des émules, comme les Estudiants Ramondencs de Toulouse et de former avec ces derniers et avec les jeunes marseillais de l’Araire (Jòrgi Reboul, Charles Camproux, Paul Ricard) la Ligue Frédéric Mistral qui donne elle-même naissance en 1934 à Occitania, organe mensuel de la jeunesse fédéraliste occitane et à l’association des Amis d’Occitania qui entend mettre en place un véritable programme fédéraliste auquel participe très activement Jean Lesaffre chargé de la commission administrative.
Dans ces années 1930, Jean Lesaffre se rapproche par ailleurs de l’Escòla Occitana de Toulouse et de son principal animateur, l’abbé Joseph Salvat avec lequel il partage une certaine communauté de conscience (outre son statut d’ecclésiastique, Salvat est proche de l’Action Française) et une même vision de la langue d’oc mêlant félibréisme, occitanisme et catalanisme, avant de rejoindre en 1937 les Amis de la Langue d’Oc Paris avec lesquels il va notamment participer en 1939 à l’accueil des intellectuels catalans réfugiés en France.
Prisonnier en Allemagne, il n’en continue pas moins, entre 1940 et 1942 à promouvoir la langue d’oc à travers des conférences données à ses compagnons de captivités.
Il rejoint après-guerre l’Institut d’Études Occitanes naissant avec son ami Pierre-Louis Berthaud, rencontré du temps des Amis d’Occitania. Berthaud qui, félibre lui aussi et membre actif des Amis de la Langue d’Oc, devient majoral du Félibrige en 1947 et tente en 1952, après la mort du majoral et président des Amis de la Langue d’Oc Joseph Loubet, de soutenir la candidature au majoralat de Jean Lesaffre. Mais les sympathies occitanistes de Lesaffre lui coûtent son élection à un moment où les relations entre occitanisme et Félibrige sont particulièrement tendues ; événement qui occasionera une grande déception aussi bien à Berthaud qu’à Lesaffre, blessé de se voir rejeté par une association dans laquelle il a beaucoup œuvré et continue à œuvrer jusqu’à sa mort.
Par ailleurs, Jean Lesaffre participe très activement entre 1949 et 1951, aux côtés de Pierre-Louis Berthaud, à l’action en faveur de la loi Deixonne sur l’enseignement des langues et dialectes locaux, et c’est encore avec Berthaud qu’il publie des bibliographies de référence (La langue d’Oc dans nos écoles, 1953, puis la Bibliographie occitane dont il publie le volume 1943-1956 avec Berthaud, initiateur et principal auteur, avant de s’associer avec Irénée-Marcel Cluzel puis Jean-Marie Petit pour les volumes suivants).
Très actif jusqu’à sa mort, il continue, outre sa participation à la vie des associations, à donner des conférences et à écrire des articles, essentiellement pour Lo Gai Saber, revue de l’Escòla Occitana de Toulouse, et La France Latine.
]]>- BARTHES, Roger. « Jean Lesaffre (1907-1975) ». OC, n° 254, été 1976, p. 47-58
- CARRIÈRES, Marcel. « Jean Lesaffre ». Lo Gai Saber, n° 384, octobre 1976, p.535-538
- La France Latine, n° 64-65, pp. 1-27 (articles de Georges, Dezeuze, René Méjean, Ivan Gaussen, Marcel Decremps, témoignages, bibliographie).
- GRAU, Pierre. « Le Nouveau Languedoc : des corpos aux origines de l’occitanisme contemporain », VIIe Centenaire des Universités de l’Académie de Montpellier, Montpellier, Université Montpellier 1, 1992, pp.107-109
- LESPOUX, Yan. « Aux origines de la revendication occitaniste en faveur de l'enseignement de la langue d'oc : les propositions du Nouveau Languedoc et d'Occitania ». Lengas, n° 65, 2009, p. 29-48
]]>