Barreyre, Émilien (1883-1944)
Barreyre, Émilien (1883-1944)
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Tout comme Paul Froment, le félibre-paysan de Floressas, Émilien Barreyre est un des exemples les plus remarquables de poète occitan issu véritablement du monde du travail, ayant réussi, avec peu d’instruction « institutionnelle », à bâtir une œuvre littéraire qui laisse rêveur le lecteur actuel. Barreyre est un paysan de la mer, un <em>malinèir</em>, un marin. En ce temps-là, le Bassin d’Arcachon est un haut lieu de la pêche à la sardine (en plus de l’ostréiculture et du tourisme, déjà développé). Né à Arès, aux confins du pays de Buch et du Médoc, Barreyre exercera toute sa vie des métiers durs et ingrats : marin-pêcheur, militaire, gardien de sanatorium puis d’usine, tout en se montrant un membre actif du Félibrige. Cette vie de travail et de pauvreté est ourlée de récompenses qui pleuvent sur le poète-ouvrier pour ses oeuvres. Mistral, Palay, Camélat, sans oublier ses comparses girondins, les félibres Roger Romefort dit Gric de Prat ou encore son voisin Adrien Dupin, s’émerveillent de l’aisance poétique de cet Arésien taiseux, qui mourra en terre francilienne où il s’était exilé, sans avoir revu le Bassin d’Arcachon.</p>
<h2>Identité</h2>
<h3><b>Formes référentielles</b></h3>
<p style="text-align: justify;">Barreyre, Émilien (1883-1944)</p>
<h2>Éléments biographiques</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Émilien Barreyre est né le 20 avril 1883 à Arès, commune située au nord du Bassin d’Arcachon, où une plaque commémorative a été installée sur sa maison natale. Barreyre est issu d’un milieu essentiellement occitanophone : à la fin du XIXe siècle, l’occitan est la seule langue des pêcheur et des mariniers du pays de Buch. Sa mère ne parlera jamais véritablement français. Barreyre, issu d’une famille de pêcheurs, quitte l’école après le certificat d’études. Sa fille, Béline, raconte qu’il écrivait déjà des vers sur ses livres de classes. Barreyre devient pêcheur aux côtés de son père. Son frère aîné deviendra chauffeur de navire au long cours. Tout en maniant les rames ou le filet, Barreyre achète des manuels d’art poétique, essaie de comprendre la construction du vers et de la rime, et décide qu’il écrira désormais dans sa langue maternelle plutôt qu’en français. Il s’engage dans la Marine à 18 ans, et y reste cinq ans. Militaire, il reçoit une formation qui lui permet d’approfondir encore ses connaissances. Il s’inscrit à l’école Gastou Fébus, fondée depuis peu en Béarn par Simin Palay et Michel Camélat, avec qui il commence à correspondre. Pendant son passage à l’armée, il entame la rédaction de son premier recueil de poèmes, entièrement en occitan, <em>Las Malineyres</em>, les « filles de la mer », qui raconte la vie des pêcheurs du pays de Buch, mais aussi reprend quelques mythes et légendes locaux. Le livre paraît en 1912 et reçoit un accueil unanimement favorable. Barreyre a l’émotion de recevoir les félicitations du vieux Frédéric Mistral en personne. Barreyre est célébré comme poète au-delà du cénacle félibréen. Palay et Camélat l’incitent à présenter son oeuvre au concours des Jeux Floraux, où elle est récompensée de l’Églantine d’argent. Contrairement à Paul Froment qui y mourra, Barreyre rapporte donc de l’armée une conscience de poète occitan et un tatouage en forme d’ancre de marine qui orne sa main. Chose inhabituelle : Barreyre bénéficie de l’appui de ses parents dans son entreprise poétique. Sa mère veille à ne pas le déranger quand il écrit et son père, également charpentier de bateaux, lui fabrique un bureau en bois de pin. Pendant la Première Guerre mondiale, Barreyre est expédié à Salonique. Il y versifie, en français cette fois, et rebaptise son camp militaire « Camp des Olympiades ». Il en revient presque indemne, au contraire de son frère, disparu sur le front de l’Est. Fin 1920, il épouse une jeune femme rencontrée à l’hôpital de Meaux, où il était soigné pour une blessure. Installé à Arès, le couple vit difficilement. L’activité de pêche est difficile, et en 1923 Barreyre doit remplacer la barque de son père (appelée « Mirelha ») pour pouvoir poursuivre son activité et avoir droit à une retraite de marin. Lui et son épouse se placent donc au sanatorium « La Pignada » à Lège, commune limitrophe, pour pouvoir acheter une nouvelle barque. Il y compose <em>Naïda</em>, qui lui donnera droit à un rappel d’Églantine aux Jeux Floraux. Il est fait <em>Mèste en gai-saber</em> par le Félibrige. Mais suite au crach de 1929 et à la crise des années 1930, Barreyre est contraint de quitter la Gironde et doit accepter de s’exiler en région parisienne, à Joinville-le-Pont, exil qu’il croit provisoire. Simple ouvrier, il habite un appartement donnant sur une cour sans lumière. Il y accueille sa mère, qui ne parle toujours quasiment que le gascon. Elle y meurt en 1932. Barreyre développe alors un sentiment de regret et de tristesse de l’éloignement du pays du Buch dont il était profondément amoureux. Il compose intensément, des oeuvres marquées par l’exil. Dans <em>Pesque de Neit</em>, l’ancien combattant qu’il est se met dans la peau du soldat « ennemi » qui a le malheur de tomber loin des siens. Il est alors en contact avec l’abbé Joseph Salvat, un des fondateurs du Collège d’Occitanie. Il tente de suivre des cours par correspondance et essaie de d’initier à la graphie classique de l’occitan. En 1936, il reçoit une Primevère d’Argent pour l’<em>Ode a la Mer de Gascogne</em>. Barreyre, toujours en grande difficulté financière, écrit et fume beaucoup. Il sort peu et ne voit personne. Gardien de nuit aux Tréfileries du Havre, à Saint-Maurice, il tombe malade fin 1944 et meurt. Il est enterré à Joinville, précise sa fille « avec son meilleur costume et son béret basque ».</p>
<h2>Engagement dans la renaissance d'oc</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Barreyre est l’exemple type du félibre-ouvrier, dont l’engagement passa avant tout dans ses écrits. N’ayant pas le temps de prendre part aux grandes assemblées félibréennes, trop pauvre de son propre aveu pour se rendre à Maillane pour l’enterrement de Frédéric Mistral, c’est par son intense correspondance avec des félibres tels que Palay, Camélat, Salvat et d’autres qu’il se forge une conscience et une compétence « occitaniste » qui prolonge son attachement instinctif au pays et à la langue natals. Sa nature austère et secrète le tient relativement à l’écart, de même que son exil, et c’est essentiellement par correspondance qu’il se forme et travaille à améliorer sa graphie et sa langue, déjà naturelle. Il ne théorisait pas et il est difficile de savoir quelles étaient ses positions par rapport au fait occitan. Ses récompenses et son titre de Mèste en gai-saber attestent pourtant l’importance qui lui est reconnue de son vivant par ses pairs. Mais c’est son voisin Adrien Dupin (1896-1973), instituteur et félibre originaire de Gujan-Mestras, qu’il doit en grande partie sa notoriété. C’est lui qui obtient en 1954 de la municipalité d’Arès l’inauguration de la plaque commémorative sur sa maison natale et en 1956, préside à la réédition des Malineyres.</p>
Escarpit, David
Centre interrégional de développement de l'occitan (Béziers)
Recherche en domaine occitan (Montpellier)
2018-03-21 Aurélien Bertrand
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Libérat, Jacques (1787-1865) alias « Mèstre Prunac »
Libérat, Jacques (1787-1865) alias « Mèstre Prunac »
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Jacques Libérat Prunac, dit Mèstre Prunac (1787-1865), boulanger à Sète (alors orthographié Cette), fait partie de cette noria de poètes locaux d’expression occitane de l’époque préfélibréenne, qui n’ont généralement pas connu la notoriété, faute d’avoir vu leur œuvre intégrée à un groupe ou une école artistique à même de la valoriser et de lui donner de l’écho. Certains d’entre eux n’ont même pas été publiés de leur vivant, d’autres se sont offert ou vu offrir comme un cadeau d’adieu une édition de leurs œuvres complètes à la fin de leur vie. Ceux qui, comme Jasmin, Verdié, Reboul ou Gelu ont connu la reconnaissance au point de faire école dans leur ville et au-delà, ont bénéficié d’un contexte favorable, d’un entourage qui les y a aidés, d’un milieu éditorial propice ou tout simplement ont su faire montre d’un sens de l’autopromotion plus développé que les autres. Ils écrivaient généralement dans une graphie plus ou moins phonétique, utilisant les normes graphiques du français pour transcrire les sons de la langue occitane. Appartenant à des générations antérieures à celles des premiers félibres, ces auteurs sont souvent influencés par des sources antérieures, tout en étant très marqués idéologiquement, quelque soit le camp auquel ils appartiennent.</p>
<h2>Identité</h2>
<h3><b>Formes référentielles</b></h3>
<p style="text-align: justify;">Libérat, Jacques (1787-1865)</p>
<h3>Autres formes du nom</h3>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">- Libérat Prunac, Jacques (variante du nom)</p>
<p style="text-align: justify;">- Mestre Prunac (pseudonyme)</p>
<p style="text-align: justify;">- Méstré Prunac (pseudonyme)</p>
<h2>Éléments biographiques</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Nous ne savons pratiquement rien sur Jacques Libérat Prunac, né le 20 décembre 1787 à Sète où il est mort le 28 novembre 1865. Il exerçait la profession de boulanger dans sa ville, et écrivait - en français d’abord, puis en occitan, nous dit-il lui-même - à côté de son activité professionnelle, pendant son peu de temps de loisir. Dans la préface de ses œuvres complètes, publiées en 1861 chez l’imprimeur-libraire Gras à Montpellier, <em>Las Fougassas de Mestré Prunac, boulangé dé Cetta</em>, Prunac prend un ton qui n’est pas sans rappeler celui de Jasmin dans <em>Mous Soubenis</em> pour nous dépeindre la misère de son existence. Mais ne s’agit-il pas ici d’un topos narratif, dont des expressions pouvant évoquer des lieux communs « le pain noir de l’adversité », « au calice de mes amertumes », « quelques larmes de miel », « mes tristesses et mes douleurs » ? Il n’est pas aisé de répondre à cette question. Si l’on en croit ce qu’il a voulu transmettre de lui-même à son lectorat, Prunac connut donc dans son activité de boulanger les affres de la misère. Manifestement habité d’une profonde foi catholique, et appartenant probablement à des milieux que l’on pourrait qualifier de conservateurs. S’il a commencé, de son propre aveu, par écrire en français, Prunac s’est semble-t-il assez vite tourné vers la langue d’oc,</p>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%; padding-left: 30px;"><em>... notre idiome patois, langue si gracieuse et si pittoresque, langue de mon pays, que j'ai begayée sur les genoux de ma mère au sortir de mon berceau, langue qui m'a toujours été, depuis, aussi douce que familière.</em></p>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Il est intéressant de noter que, si l’appellation « patois » apparaît sous sa plume, Prunac considère bien le parler d’oc de Sète comme une « langue ». Il l’appelle également « languedocien » (le parler sétois étant transitoire entre le languedocien oriental et le provençal maritime). La référence à la mère, à l’affect lié aux sonorités de la terre natale, font partie des topoï les plus courants dans les textes des écrivains occitans de cette époque, et encore longtemps après. Prunac ne se prive pas, dans son <em>A mous lectous</em>, de déplorer le recul - déjà - de l’occitan à Sète au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle :</p>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%; padding-left: 30px;"><em>Dé parlà ben patoués n’és pa caouza facila, <br />Yoï lou parlan papus couma d’aou ten passat ; <br />Aquel poulit lengagé a prés lo toun dé villa, <br />Per trop se rafinà s’és tout despatouézat. <br />Rétrouvayen papus sa lengua marternèlla, <br />Sé das mors d’ancien ten né révéniè quaoucun ; <br />Trouvayen qué dé mescla en plaça dé touzella,</em></p>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Les textes de Prunac oscillent entre humour et nostalgie, avec un ton généralement moralisateur, empreint de bienséance, parfois franchement misogyne, mais essayant d’être « badines » selon l’expression de l’auteur. Prunac n’a réuni ses œuvres qu’à la fin de sa vie, mais nous les connaissons aussi - tant ses pièces françaises qu’occitanes - par un recueil manuscrit conservé au CIRDOC, contenant les poèmes du boulanger, transcrits par son neveu F. Prunac et dédiées à la petite-fille de Mestre Prunac, Rosalie. Prunac cite parmi les gens l’ayant encouragé à écrire en occitan Auguste Mallié, auteur occitan sétois, que nous connaissons par la présence de ses œuvres dans l’Armanac Cetori, l’organe félibréen de « l’île singulière » à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, et son neveu l’abbé A. Bousquet, « aumônier », dont une pièce occitane est placée à la suite de l’introduction de l’édition de 1861.</p>
<h2>Engagement dans la renaissance d'oc</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Prunac a dédié un poème à Joseph Roumanille, dans lequel il exprime clairement qu’il connaît l’existence du félibrige provençal, et qu’il se sent attiré par cette société de poètes occitans visant à remettre en honneur la langue d’oc. Prunac est d’ailleurs cité par Mistral dans le Trésor du Félibrige. Prunac exprime son désir que son œuvre à lui, <em>cantayré dé routina/Doun tout l’ar es lou naturel</em> parvienne jusqu’aux félibres :</p>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%; padding-left: 30px;"><em>Ah ! sé din toun por arrivavou, <br />O felibré ! é sé t’agradavou, <br />Quinté bonur séyé lou siou !</em></p>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Mais Prunac, qui a manifestement assisté à une séance du Félibrige à Nîmes, où Roumanille fut couronné de fleurs blanches par trois félibres, n’a manifestement pas été félibre lui-même. Peut-être était-il déjà trop âgé, ou trop occupé par ses activités. Toujours est-il qu’à la différence d’autres auteurs de l’époque pré-félibréenne, il fut informé de la naissance du mouvement, qu’il compare dans ses vers à un arc-en-ciel, en conçut de la joie et s’identifia pleinement à ce retour du printemps de la langue occitane.</p>
Escarpit, David
Centre interrégional de développement de l'occitan (Béziers)
Recherche en domaine occitan (Montpellier)
2018-06-01 Aurélien Bertrand
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Fourès, Auguste (1848-1891)
Fourès, Auguste (1848-1891)
Écrivain
Journaliste
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Félix Gras, Auguste Fourès, Noël Blache, Prosper Estieu ont, à des époques différentes, tous été qualifiés de « félibre rouge ». À leur engagement de félibres en faveur du renouveau de la langue occitane (avec parfois des opinions fédéralistes assumées) à des convictions républicaines non moins affirmées. Souvent partisans de la laïcité, de l’éducation pour tous, sensibles aux conditions de travail des classes laborieuses, ces félibres ont souvent transposé leur vision du monde dans l’histoire occitane, sur laquelle ils ont parfois porté un regard teinté de leurs opinions. Pour Fourès, comme pour Gras, c’est ainsi l’épopée de la Croisade contre les Albigeois, revue à travers le regard de leur temps et de leur bagage, qui a cristallisé leur attention, au risque d’ailleurs d’opposer au roman national historique français, qui se constituait à la même époque, un autre roman national guère plus dégagé de parti-pris idéologique. En plus de son activité de quincailler, Fourès donna toute sa (courte) vie l’impression de se démultiplier : journaliste en français dans plusieurs journaux, élu politique, fondateur de revues, félibre majoral, il fut incontestablement un des acteurs les plus prolifiques de la renaissance d’oc.</p>
<h2>Identité</h2>
<h3><b>Formes référentielles</b></h3>
<p style="text-align: justify;">Fourès, Auguste (1848-1891)</p>
<h3>Autres formes du nom</h3>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">- Fourès, Aguste<br />- Forés, August</p>
<h2>Élements biografiques</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Auguste Fourès, fils du juge de commerce Jean-François Fourès et d’une mère propriétaire d’une quincaillerie, est né le 8 avril 1848 à Castelnaudary, capitale du Lauragais. Attiré par le monde des Lettres et l’écriture, précocément gagné aux idées républicaines, il commence à écrire dans plusieurs journaux du Midi, tous d’orientation républicaine : <em>L’Entracte</em> (Toulouse, à partir de 1866), <em>L’Investigateur</em> (Toulouse, à partir de 1867), <em>Méphistophélès</em>, « journal charivarique et satirique de Toulouse », à partir de 1868, <em>Le Midi Artiste</em>, toujours de Toulouse, puis <em>La Fraternité de Carcassonne</em> et <em>L’Écho de Marseille</em> en 1870. Il fondera en 1887 <em>Le Petit Toulousain</em>, organe républicain lié à <em>La Dépêche du Midi</em>, dont il assurera la direction et qui disparaîtra avec lui à sa mort, en 1891. Candidat aux élections municipales de sa commune, il devient en 1878 adjoint au maire de Castelnaudary avant de démissionner deux ans plus tard, lassé semble-t-il par l’incurie de l’équipe municipale. C’est à cette époque qu’il rencontre le poète et journaliste Louis-Xavier de Ricard, récemment installé à Montpellier et converti à l’histoire du Languedoc par les écrits de Napoléon Peyrat, avec qui il fonde en 1878 <em>L’Armana de la Lauseta</em>, almanach félibréen, et développe l’idée de félibrige républicain, ou « félibrige rouge ». Il est inutile de préciser que cette approche du félibrige ne sera pas sans provoquer oppositions et grincements de dents au sein de l’institution. Après avoir été même poussé à la démission, Fourès réintègre le Félibrige et devient même majoral en 1881, <em>Cigalo de la Libertat</em>.<br />Fourès commence par écrire l’occitan - le sous-dialecte languedocien est-toulousain du Lauragais - avec sa propre graphie, une graphie « patoisante ». Il se formera année après année aux normes graphiques prônées par le Félibrige. Employant un occitan local mais de bonne facture, Fourès est adepte d’un style simple et raffiné. Il lui arrive de se cacher derrière des noms de plume, comme l’ont fait beaucoup de félibres. <br />Combinant le fédéralisme avec un patriotisme français très revendiqué, Fourès se passionne pourtant pour le catharisme, perçu à travers le prisme de son anticléricalisme républicain du XIX<sup>e</sup> siècle. Il considère l’ « albigéisme » comme un pilier de l’identité occitane, et regarde l’épopée de la Croisade comme fondateur de la culture d’oc. Fourès est également un chantre du « panlatinisme », alliance des peuples et des cultures romanes et méditerranéennes. Aux côtés de Xavier de Ricard, tout aussi opposé que lui à l’orientation conservatrice du Félibrige de leur temps, Fourès tente de lancer l’<em>Alliance latine</em>, revue dont seuls deux numéros paraîtront, qui prétend rassembler et réunir tous les peuples de culture latine d’Europe et au-delà. Cette volonté d’ouverture de l’identité occitane sur l’espace euroméditerranéen est représentative de la vision que les « félibres rouges » avaient de la notion même d’identité occitane. De Ricard sera du reste un des premiers à employer le terme de « parlers occitaniens ». <br />Atteint semble-t-il d’ataxie tabétique, il meurt en 1891 à Castelnaudary, à l’âge de quarante-quatre ans. Franc-maçon et libre-penseur, Fourès sera enterré une première fois selon le rite catholique sur la volonté de sa famille, avant que son corps, par décision de son exécuteur testamentaire, soit exhumé quelques jours plus tard et enterré de nouveau selon ses principes : debout, la tête tournée vers l’Orient et sans cérémonie religieuse. Un buste le représentant est érigé devant le palais de justice de Castelnaudary.</p>
<h2>Engagement dans la renaissance d'oc</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">L’engagement dans la renaissance d’oc d’Auguste Fourès n’est pas dissociable de son existence. Son engagement républicain, « progressiste » dans l’acception que possédait le terme à l’époque, franc-maçon et anticlérical allait de paire avec sa revendication d’une identité occitane assumée et reconnue dans le cadre de la République, ce cadre dût-il être repensé sous l’angle du fédéralisme, alors en vogue chez les félibres républicains. S’il fonda une revue et en co-fonda une autre, Fourès vécut son double engagement félibréen et républicain au cœur de sa vie, que ce soit à travers son court mandat d’élu local comme dans ses fonctions de rédacteur et responsable de journaux et revues. Félibre, fédéraliste, mais opposé en quelque sorte à la doxa et à l’approche politique et philosophique du Félibrige provençal de son temps, catholique et conservateur, il tenta de concilier entre eux des idéaux qui, dans le contexte idéologique de son temps, n’allaient pas forcément de soi ensemble. En élargissant la reconnaissance et la valorisation de la culture d’oc à l’échelle des cultures latines, Fourès, associé à Ricard, manifeste la volonté d’ouvrir, d’élargir la réflexion à l’échelle du dialogue entre cultures voisines et liées, en fuyant la tentation de l’entre-soi occitan et félibréen.</p>
Escarpit, David
Centre interrégional de développement de l'occitan (Béziers)
Recherche en domaine occitan (Montpellier)
2018-05-31
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Gelu, Victor (1806-1885)
Gelu, Victor (1806-1885)
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">L’imposante figure de Victor Gelu est aujourd’hui perçue comme emblématique de la culture occitane marseillaise. Poète populaire de langue occitane, employant comme une évidence le parler urbain de Marseille, Gélu appartient à ce cercle d’auteurs de langue d’oc qui sont arrivés à incarner l’esprit profond, l’éthos de leur ville, à l’instar de Jasmin à Agen, Meste Verdié à Bordeaux ou Goudouli à Toulouse. Républicain, progressiste mais pourtant méfiant vis à vis du scientisme et du progressisme à tout va qui marquent si profondément l’esprit du XIX<sup>e</sup> siècle, omniprésent dans l’écrit provençal de son temps tout en se tenant soigneusement en marge du Félibrige, truculent mais aussi mélancolique et volontiers moralisateur, Gelu est un peu inclassable. Sa silhouette massive continue de hanter la mémoire du Marseille populaire. Sa statue, évoquée par César dans la Trilogie marseillaise, a disparu avant d’être refaite, déplacée, pour finalement orner depuis 2015 l’angle de la rue qui porte son nom.</p>
<h2>Identité</h2>
<h3><b>Formes référentielles</b></h3>
<p style="text-align: justify;">Gelu, Victor (1806-1885)</p>
<h3>Autres formes du nom</h3>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">- Gelu, Vitour (forme occitane du nom)</p>
<h2>Élements biografiques</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Victor Gelu est né à Marseille le 12 septembre 1806, dans une famille marseillaise originaire d’Embrun, dans les Hautes-Alpes. Son père, comme son grand-père auparavant, exerçait la profession de boulanger et dirigea plusieurs boulangeries marseillaises. Sa mère, Rosalie Margalet, couturière, était pour sa part issue d’une famille catholique pratiquante de Puyloubier, à l’est d’Aix. Gelu était notoirement proche de son père qu’il adorait et admirait, quand ses relations avec sa mère furent toujours marquées par une profonde tension. Les problèmes de santé de son père l’obligent à mettre précocement un terme à ses études, entamées chez les Frères gris d’Aix, période de sa vie qu’il n’apprécia guère. Son acrimonie vis à vis de la religion catholique ostensiblement affichée se forge vraisemblablement là, aggravée par son opposition à la ferveur religieuse de sa mère, qu’il rejette. Il se forge enfin sous la férule de son précepteur l’abbé Chabert, homme dur qui lui laissé un sinistre souvenir, et enfin dans les rues de Marseille ensanglantées par les émeutes de l’été 1815, entre bonapartistes et la majorité de la population de la vallée du Rhône, de sensibilité royaliste. Gélu développe alors un fort sentiment républicain. Une altercation avec un de ses professeurs, un des frères d’Aix, achève de le convaincre d’abandonner l’école. Mais le décès de son père, Étienne Victor Gelu, le 10 juin 1822, fit basculer sa vie. Gelu en conçut un profond chagrin qu’il exprima souvent. La boulangerie familiale commença à péricliter, dit-on à cause du caractère détestable de sa mère et de ses dons irraisonnés à l’Église. Mais le portrait de Rosalie Margalet en bigote revêche provient de son fils, qui nourrissait très vraisemblablement un fort ressentiment vis à vis de sa mère.<br />Victor Gelu fréquente des cercles et goguettes, à l’instar de celles que fréquentaient Béranger à Paris, dont les Endormis, cercle bonapartiste comprenant nombre d’anciens soldats de l’Empire, qui joue des pièces de théâtre et chante des chansons dans un « caveau ». Ayant petitement hérité de son père et n’ayant pu conserver ses économies, Gelu quitte alors Marseille. Il voyage, à Bordeaux puis Paris, où il cherche à se construire une situation. Il échoue et ne parvient qu’à dilapider l’argent qui lui reste. Il se retrouve de nouveau à Marseille, dépendant de sa mère qui ne l’accueille pas à bras ouverts. Gelu s’initie alors au théâtre. Il remplace, à Antibes, un comédien porté absent pour une pièce, et remporte un succès considérable. Mais le milieu du théâtre, libertin, ne plaît pas à l’austère moraliste qu’il est en train de devenir. Ayant tenté de se faire embarquer à Toulon comme commis aux vivres sur un bateau en partance pour l’expédition d’Alger, il rentre une fois de plus penaud chez sa mère qui l’expédie, en compagnie de son jeune frère Noël, à Lyon pour travailler dans une usine de pâtes alimentaires. Ayant perdu sa place dans la tourmente que constitua la révolution de 1830, lui-même fut impliqué dans les mouvements ouvriers insurrectionnels connus à Lyon sous le nom de révolte des Canuts, et blessé sérieusement en 1831. Sans emploi, avec des espoirs déçus, il s’en revint en Provence où il logea chez son frère Noël, devenu minotier à Aubagne. Mais ne s’entendant pas avec sa belle-soeur, Gelu se trouva de nouveau en échec, et tenta de se suicider. Son frère parvint à l’en empêcher. <br />Revenu à Marseille, Gelu loua une maison, et décrocha un emploi de clerc, d’abord à 30 puis à 60 et enfin à 90 francs par mois, ce qui le mit à l’abri du besoin. Libéré des contingences matérielles, Gelu put se lancer l’esprit libre dans la création : ce fut d’abord en 1838 <em>Fenian et Grouman</em>, chanson satirique, éloge de la fainéantise et des plaisirs, puis en 1840, son recueil de vingt-cinq chansons, à la façon des goguetiers, dont dix en provençal et quinze en français. En 1852, il est invité au congrès des félibres à Arles. Il remporte un brillant succès. Les félibres et le public sont impressionnés par son gabarit imposant, la puissance de sa voix, sa présence, son charisme. Monté sur une table, il chante <em>Fenian et Grouman</em>. Il est le centre de l’attention, et c’est à cette occasion que Joseph Roumanille lui adressera la phrase restée célèbre : Mon Dieu, Monsieur, vous devez nous trouver tout petits. Mais s’il connaissait les félibres, Gelu refusa toujours d’être un des leurs. Sauvage autant que paradoxal, il conserve son indépendance d’esprit. Son engagement républicain a certainement joué lui aussi dans son rapport avec le Félibrige. Il se fit d’ailleurs des ennemis politiques, qui tentèrent de s’opposer à la publication de ses œuvres ou même à les censurer. Gelu vit quelques années à la minoterie de Roquevaire, près d’Aubagne, puis retourne à Marseille, dans le quartier Saint-Barnabé. Il perd une fille, et publie en 1854 <em>Lou Credo de Cassian</em>, puis en 1855 <em>Nouvè Grané</em>, roman social qui met en scène le voyage à l’Exposition universelle de Paris d’un paysan de Vitrolles. Le texte est une satire du progressisme et de la foi dans la technique au service du bonheur des hommes. L’année suivante, Gelu réédite ses chansons provençales en version augmentée. Quelques années plus tard, Gelu se retrouve veuf. La mort de sa femme constitua pour lui une terrible épreuve.<br />Gelu commença à prendre un certain recul dans les années 1870, et, affecté par les deuils et vieillissant, cessa progressivement d’écrire. Il refusa en 1878 d’être coopté à l’Académie de Marseille, malgré une réelle volonté de l’intégrer. La municipalité de Marseille lui refusa un poste qu’il avait sollicité, de professeur de diction au Conservatoire. Il mourut chez son fils, architecte de métier et artiste-peintre, le 2 avril 1885. Un délégué des « Endormis », le cercle goguettier de ses débuts, prononce un discours. Gelu connaît un succès posthume réel, avec la réédition complète de ses œuvres - moins les Mémoires - en 1886, et en 1891, le monument qui lui est élevé sur le Vieux-Port, place neuve, rebaptisée place Victor-Gelu.<br />Gelu a puisé l’essentiel de son inspiration dans la contemplation de la société populaire marseillaise, celle du port et des bas-fonds. Républicain engagé, il se fait l’écho de la colère sociale des plus démunis, de la révolte et des cris de colère. Sévère dans sa morale, son œuvre est baignée d’une hauteur de vue sombre et dépourvue d’illusions sur le monde. S’il a lui-même souffert et connu la détresse, son engagement républicain ne l’a pas empêché de garder ses distances avec certains aspects de l’idéologie de son temps, y compris dans le camp républicain, comme le progressisme et le scientisme, portés par la pensée positiviste alors en vogue. Il n’hésite pas, dans ce cas, à adopter une position que d’aucuns pourraient qualifier de réactionnaire. Gelu a été toute sa vie inclassable et l’est resté. Seule chose que personne ne saurait lui contester : un amour et une profonde connaissance de sa ville, du Marseille populaire de langue provençale.</p>
<h2>Engagement dans la renaissance d'oc</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Il est difficile de situer Victor Gelu dans la renaissance de la langue occitane en son temps. Il en est à la fois un acteur essentiel, central, et un marginal. Contemporain du Félibrige, il connut et fréquenta un peu les félibres, notamment par sa présence remarquée au congrès d’Arles de 1852, où il interprète sa première œuvre, <em>Fenian et Grouman</em> suivi d’un souvenir plus personnel, lié à son père. Dans la préface de l’édition des oeuvres complètes de 1886, Mistral se remémore <em>Victor Gelu, le célèbre Gelu, que je voyais et entendais pour la première fois</em> et de préciser aussitôt que cette première fois fut aussi la dernière : ni Mistral ni les félibres ne revirent Gelu.</p>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%; padding-left: 30px;"><em>Je n’ai vu Gelu que cette fois. Dans aucune de nos fêtes ni de nos réunions, si fréquentes pourtant depuis la fondation du Félibrige, nous n’avons plus rencontré le terrible chansonnier. De même que les lions, devenus vieux, vont vivre solitaires dans le fond du désert, ainsi le vieux poète qui, tout en maniant magistralement sa langue, avait désespéré de sa résurrection, en voyant après lui monter ces jeunes, ivres d’enthousiasme et d’espérances provençales, fit seul sa bande à part, et dédaigneux, muet, laissa courir la farandole.</em></p>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Gelu, sans forcément être « dédaigneux », ne souhaitait pas être récupéré, ni voir son nom associé à quelque école, mouvement, courant ou groupe que ce soit. Ce désir ardent d’indépendance s’associait à un engagement républicain et social marqués, qui lui semblaient peut-être incompatibles avec les orientations clairement chrétiennes, conservatrices de certains félibres tels que Roumanille ou Aubanel (qui sera pourtant attaqué par l’Église pour l’érotisme de ses poésies). La présence des républicains Brunet et Gras se suffit pas, semble-t-il, à le rassurer. Il a pu être dit, également, que Gelu, adepte du provençal populaire « en liberté » voyait d’un oeil méfiant les prétentions normatives des félibres : grammaires, dictionnaires, norme graphique... Cela n’empêche pas la langue de Gelu, très marquée par la dialectalité du provençal maritime de Marseille, d’être très écrite, riche en idiomatismes et dotée d’un lexique très étendu.</p>
<br /><hr />
<h2>Éléments de bibliographie de l'auteur</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">- <em>Chansons provençales et françaises</em>, Marseille, Sénés, 1840. <br />- <em>Chansons provençales</em> (2e édition augmentée), Marseille, Laffitte et Roubaud, 1856. <br />- <em>Meste Ancerro vo lou Vieiugi. Chansons provençales avec glossaires et notes</em>, Marseille, Camoin frères, 1863. <br />- <em>Lou Garagaï. Chansons provençales avec glossaire et notes</em>, Marseille, Camoin frères, 1872. <br />- <em>Œuvres complètes, avec trad. litt. en regard précédées d'un avant-propos de Frédéric Mistral et d'une étude biographique et critique d'Auguste Cabrol</em>, Marseille-Paris, Charpentier, 1886, 2 vol<br />- <em>Nouvè Grané</em>, Centre Régional d’Études Occitanes de Provence/Publications de l’Université de Provence, 1987. <br />- <em>Victor Gelu, Poèta dau pòple marselhés, Cansons provençalas</em>. CD-livre (musique de Dupain, Lo Còr de la Plana, Massilia Sound System, D'Aqui Dub...) Ostau dau Pais Marselhés/Edisud, 2003. <br />- "Victor GELU - L'homme révélé par ses textes" - Tomes I et II - par Michèle Delaage et Pierrette Bérengier - <em>Cahiers 104 et 105 du Comité du Vieux-Marseille</em>, 2011.</p>
Escarpit, David
Centre interrégional de développement de l'occitan (Béziers)
Recherche en domaine occitan (Montpellier)
2018-05-17
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Boirac, Élie (1810-1884)
Boirac, Élie (1810-1884)
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Élie Boirac (1810-1884) sort à peine des limbes de l’oubli, demeure à la veille de voir son oeuvre publiée. Boulanger dans le village girondin de Saint-Macaire, sur la rive droite de la Garonne, à 45 kilomètres en amont de Bordeaux, il ne le quitta que pour la sous-préfecture voisine de La Réole, située à une dizaine de kilomètres, et mourut dans son village. Auteur de plusieurs dizaines de textes, dont la moitié environ en occitan, pamphlétaire redoutable et polémiste sans pitié, chansonnier, farceur, il fut aussi un militant profondément engagé dans la cause républicaine, au coeur de la Restauration, de la monarchie de Juillet et du Second Empire, ce qui lui valut pas mal d’ennemis et quelques ennuis avec l’autorité, qu’il adorait braver. Gascon de théâtre, colosse à a voix de stentor, grand amateur de conquêtes, il s’engagea dans les combats du quotidien de son village, attaqua de front ses détracteurs et parvint généralement à ses fins. Mais ses pamphlets, chansons et saynètes, restés manuscrits quoique recopiés plusieurs fois, n’ont à ce jour jamais connu les honneurs de l’édition et fut oublié presque aussitôt qu’il mourut, à l’exception d’une consécration tardive et d’ailleurs ambiguë au début des années 1930.</p>
<h2>Identité</h2>
<h3><b>Formes référentielles</b></h3>
<p style="text-align: justify;">Boirac, Élie (1810-1884)</p>
<h2>Élements biografiques</h2>
<h3>Un poète benlèu tròp lengut (peut-être trop bavard)</h3>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Élie Boirac naquit le 5 janvier 1810 au Pian (aujourd’hui Pian-sur-Garonne) en Gironde, commune limitrophe de Saint-Macaire, de Pierre Boirac et de Catherine Marrot. Il mourut le 28 mars 1884 à Saint-Macaire. Boirac est donc l’exact contemporain du poète-boulanger marseillais d’expression occitane Victor Gelu (1806-1885) avec lequel il est possible de lui trouver bien des traits communs. Comme le Marseillais, Boirac exerçait par tradition familiale la profession de boulanger, son père l’ayant été avant lui, dans la boutique familiale située au rez-de-chaussée d’une maison de la rue Yquem à Saint-Macaire, où une plaque commémorative (en français) a été apposée. Comme Gelu, Boirac fut un républicain convaincu. Profondément hostile à Napoléon III, Boirac fut le fondateur du Cercle républicain de Pian en 1848. Il en assura la direction en plein Second Empire de la période autoritaire, ce qui lui valut d’être condamné au bannissement de sa commune. L’anecdote raconte – transmise par tradition familiale – que Boirac « s’exila » dans la commune voisine du Pian, à une poignée de mètres de sa maison, juste de l’autre côté de la rue. L’anecdote est remarquable, et colle à ce que ses écrits nous donnent à voir de la personnalité de Boirac : un personnage truculent et brillant, maniant l’insolence et la provocation avec talent. Néanmoins, les sources identifiables par ailleurs semblent contredire sur certains aspects cette légende « boiraquienne ». En réalité, Boirac ne s’est donc pas contenté de s’exiler à deux pas de chez lui, chez ses cousins. Il s’est expatrié à La Réole, où il était domicilé en janvier ou février 1852. Il s’est par contre caché (« soustrait par la fuite ») à l’approche de la police bonapartiste, et cette « cavale » peut correspondre effectivement à l’époque où le « boulanger-poëte », comme il se qualifiait lui-même se réfugia dans la maison toute proche d’un sien parent. Il ne paraît plus devoir être inquiété, début 1852, puisque même sous surveillance de la police, il semble continuer d’être l’« agent actif de la propagande » républicaine auprès des Réolais, après l’avoir été auprès des Macariens et Piannais. Quant au Cercle républicain, fondé en mars 1848, il en fut effectivement membre et le resta tant qu’il fut autorisé par le pouvoir, mais rien ne dit qu’il l’ait dirigé.<br />D’Élie Boirac nous sont parvenus soixante-treize textes, chansons, saynètes, satires locales, poèmes, textes engagés, ainsi que plusieurs fragments, dont trente-cinq totalement ou partiellement en occitan, encore tous inédits. Retenons principalement quatre pamphlets en occitan, qui ont pour titre <em>Rencountre</em> (1842), <em>Lou Tintamarre</em> (1846), <em>Lous trotoirs de Maouhargat</em> (1865) la <em>Riguedoundene</em> et le <em>Riguedoundoun</em> (1868). Les trois premiers ont une portée strictement locale, communale, et sont moins politiques que satiriques contre des personnes nommément désignées (Boirac nommait toujours ses cibles par leurs noms).<br />Le pamphlet <em>Lou Tintamarre</em>, daté de 1846, n’est pas politique en apparence. C’est un règlement de compte que Boirac inflige à un nommé Chaigne, un habitant de Pian qui avait osé composer lui aussi des satires et notamment s’attaquer aux habitants de Saint-Macaire, dont il était pourtant originaire. Mais Boirac ne s’arrête pas à une satire locale clochemerlesque. Le texte se poursuit sous des aspects délirants d’épopée homérique ou virgilienne.<br />Boirac met en scène le combat, comme un Victor Hugo, un Tasse ou un Homère burlesque. Il déroule les phases de l’épopée de ces soldats de l’An II des coteaux macariens.<br />Dans les <em>Trotoirs de Maouhargat</em>, en 1865, Boirac évoque les aménagements urbains apportés à ce quartier de Saint-Macaire, dont le nom gascon signifie exactement « mal foutu », et qui vient à cette époque de recevoir des trottoirs, remplaçant l’ancienne chaussée boueuse à la saison des pluies.<br />Les pamphlet appelés <em>Riguedoundene </em>et<em> Riguedoundoun</em> se suivent et datent de la même année. La <em>Riguedoundene</em> est une attaque contre la fanrare locale, accusée de bonapartisme et d’agression sur l’orphéon municipal soutenu par Boirac. Le <em>Riguedoundoun</em> le chef-d’œuvre de Boirac, mais aussi sa dernière œuvre connue. Âgé de cinquante-huit ans, le « boulanger-poëte » républicain voit le Second Empire toucher à sa fin. La petite ville est toujours administrée par le bonapartiste Étienne Ferbos, qui possède dans son conseil municipal un concurrent commercial direct de Boirac en la personne du boulanger Merle. Nous ne saurions dire si son engagement politique, son talent indéniable pour l’écrit polémique gascon, dans un village sans doute encore majoritairement occitanophone, ont porté tort à son négoce. Le gérant de l’histoire s’appelle Gilaresse, et ce n’est pas le seul nom que lui attribue Boirac. Globalement, le <em>Riguedoundoun</em> s’apparente à une suite d’insultes davantage qu’à une argumentation. Boirac semble trouver dans l’exercice une jubilation langagière qui le rapproche du genre <em>recardèir</em> bordelais et du <em>Cadichoune</em> et <em>Mayan</em> de Verdié, une de ses références identifiables. L’autre chapelet qui se rencontre dans le sonore pamphlet, c’est celui des noms. Car Boirac affectionne l’évocation sonore dans le choix de ses titres : le <em>rigadondon</em>, en occitan, se rapproche de l’idée de tintamarre, de charivari. Nous sommes proches ici de l’idée du chahut carnavalesque, jubilatoire et transgressif, et du <em>riga-raga</em>, la crécelle, l’instrument des charivaris, mais aussi des marginaux et particulièrement les plus rejetés d’entre eux, les lépreux.<br />Le <em>Riguedoundoun</em> est donc avant tout un règlement de comptes, avant d’être un cri du cœur d’un républicain.<br />Boirac tout entier tient dans une anecdote révélatrice à la fois du mode de fonctionnement du boulanger-poète et de ses opinions politiques sur le Second Empire. En 1852 fut démolie à Saint-Macaire une maison forte défensive du XIII<sup>e</sup> siècle, ancienne Chambre de l’Édit du Parlement de Bordeaux, restaurée en 1600 et que l’on appelait dans le pays le Palais du Turon. A cette occasion, Boirac, qui faisait construire un mur mitoyen au chantier, y plaça dans une fiole de verre deux ou trois pièces de monnaie anciennes ramassées sur le site, et une lettre dénonçant la destruction du monument historique et fustigeant le plébiscite de Louis-Napoléon en vue d’être couronné empereur des Français. Le pamphlet accusait le prince et son oncle, le défunt empereur Napoléon I<sup>er</sup> en des termes sanglants : « (le) plus grand Dévastateur et Despote que l’Enfer ait vomi sur la Terre...». Cette fiole fut découverte en 1907, vingt-trois ans après la mort du poète-boulanger, par des maçons chargés de démolir le mur que Boirac avait fait bâtir. Une tradition locale qui nous a été transmise par ses héritiers soupçonne Boirac d’avoir caché des fioles identiques un peu partout dans Saint-Macaire, dans des caches au creux des murs où elles seraient encore.</p>
<h2>Engagement dans la renaissance d'oc</h2>
<h3>À distance des félibres : le Gelu de la Gironde ?</h3>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">La figure d’Élie Boirac ne peut que faire penser à celle du tonitruant Gélu, lui aussi boulanger et lui aussi tribun. Comme Gelu, Boirac semble avoir possédé une très forte et remarquable personnalité s’illustra dans le pamphlet mais aussi dans la chanson. La comparaison s’arrête là, car si les œuvres du Marseillais sont bien connues, éditées et rééditées à maintes reprises, ce n’est qu’à l’état de bribes que nous sont parvenues celles de Boirac. Ce qui les unit encore, toutefois, est leur refus de s’intégrer aux mouvements de renaissance de la langue et de la culture occitanes de leur temps. Il convient cependant de signaler qu’au temps de Boirac, en Gironde et plus largement en Gascogne, aucun mouvement félibréen structuré n’existait. Si à Bordeaux, quelques figure locales comme l’abbé Arnaud Ferrand (1849-1910) et son entourage semble amorcer un rattachement aux idées félibréennes, il faudra attente la fin de la décennie 1880 et les années 1890 pour voir se dessiner l’embryon d’une école félibréenne en Lot-et-Garonne, autour de Charles Ratier, Victor Delbergé et Jasmin fils. La Gironde, elle, n’aura pas d’institution félibréenne avant le siècle suivant. Gelu connaissait les félibres et s’en méfiait. Boirac ne les a vraisemblablement pas connus, et en eût-il eu l’occasion, l’orientation idéologique de ces premiers félibres girondins se trouvait à l’opposé exact de la sienne : catholiques, de tendance royaliste et fortement antirépublicains. Boirac connaissait Jasmin au moins de réputation, l’ayant probablement entendu, et le cite à plusieurs reprises dans ses textes. Les sonorités du coiffeur agenais, son contemporain, se retrouvent parfois au détour d’un vers, mais là s’arrête le rapport entre les deux voisins de la Garonne. En revanche, Boirac puise abondamment dans l’univers bordelais de Meste Verdié (1779-1820) et de la littérature populaire <em>recardèira</em> en gascon <em>pishadèir</em>. Il reste néanmoins une figure isolée, dont l’absence d’édition de son vivant - et à ce jour - donne l’image d’un poète oublié, sans postérité. Selon l’habitude des félibres, Boirac fut toutefois célébré lors de la Félibrée de 1930 qui se tint à Saint-Macaire, et lui fut entièrement dédiée.</p>
<br /><hr />
Escarpit, David
Centre interrégional de développement de l'occitan (Béziers)
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2018-05-09 Aurélien Bertrand
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Lesca, Pierre (1730-1807)
Lesca, Pierre (1730-1807)
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Rares sont les chanteurs gascons qui n’ont pas repris à un moment ou un autre <em>Los Tilholèrs</em>, chanson au rythme lancinant, interprétée sur un mode mineur, qui dispute à la plus tardive <em>Salut Baiona</em> ! le titre d’hymne gascon bayonnais. La chanson est attribuée de façon quasiment certaine à un tonnelier-négociant du XVIIIe siècle, également connu dans la cité de la Nive et de l’Adour pour son activité de chansonnier : Pierre Lesca, qui signait Lesca-Hitze, associant selon l’usage au nom gascon de son père le patronyme basque de sa mère. Remaniée, réécrite, la chanson datable des années 1785-1788 est devenue un « classique » des chorales gasconnes. Mais à l’instar de son quasi-contemporain béarnais Despourrins, nous nous apercevons vite que nous ne savons finalement que peu de choses sur Lesca, et que l’attribution même de ses oeuvres est parfois bien douteuse.</p>
<h2>Identité</h2>
<h3><b>Formes référentielles</b></h3>
<p style="text-align: justify;">Lesca, Pierre (1730-1807)</p>
<h3>Autres formes du nom</h3>
<p>- Lesca-Hitze, Pierre (forme complète du nom de famille)</p>
<h2>Élements biographiques</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Pierre Lesca est né à Bayonne le 4 septembre 1730, dans la rue des Cordeliers, quartier que nous appelons aujourd’hui le Petit Bayonne. Il reçoit le baptême le jour même dans la cathédrale Sainte-Marie de Bayonne, église paroissiale de son quartier. Son père, Nicolas Lesca, est maître-tonnelier. Le quartier des Cordeliers est à cette époque un haut lieu de l’activité viticole : les vins du pays bayonnais, du sud des Landes, de Bordeaux et des environs de Peyrehorade, mais aussi l’eau-de-vie d’Armagnac se négocient sur les bords de la Nive, et jouissent alors d’une certaine estime. Un tonnelier, en ce temps, est généralement aussi marchand de vin et négociant. La profession est respectable, et les Lesca ont un statut de petits bourgeois et même de notables dans la ville du confluent. Le parrain de Pierre Lesca se trouve être un nommé Tauzin, maître-tonnelier lui aussi, confortant l’image d’une famille Lesca bien intégrée dans son tissu socio-professionnel. Sa mère se nomme Gracieuse Dihitze ou de Hitze, et l’on a longtemps cru Lesca issu par sa lignée maternelle de la petite noblesse basque. Il n’en est en fait rien. Gracieuse Dihitze est roturière, issue d’une famille basque implantée à Saint-Étienne-d’Arribe-Labourd, une paroisse au nord de Bayonne, depuis intégrée à la commune. Si le poète naquit bien dans la rue des Cordeliers, ou une plaque, apposée au n°25, rappelle cette illustre naissance, il semblerait qu’il y ait eu erreur sur la maison, et que Lesca ne soit pas né exactement à l’emplacement indiqué. René Cuzacq (1901-1977), grand érudit du sud des Landes et de la région bayonnaise, et quasiment seul biographe de Lesca, est parvenu au moyen de savants recoupements à localiser la véritable maison natale du poète-tonnelier, à presque en face de celle où en 1812 viendra s’installer le poète gascon bordelais Verdié. Les Lesca sont semble-t-il originaires d’Anglet, commune occitanophone située entre Bayonne et Biarritz.<br />La vie de Pierre Lesca ne présente ensuite rien de particulièrement différent de celle de n’importe quel artisan bayonnais de son temps. René Cuzacq, dans la notice qu’il consacre spécialement à Lesca, doit user d’un grand nombre de digressions pour remplir les presque 80 pages du petit livre. Nous ignorons sont éducation, que son bagage culturel et littéraire déductible du contenu de ses textes, permet de supposer complète et de bonne qualité. Son chai se trouve rue Pontrique, aussi appelée rue Maubec (qui coupe à angle droit la rue des Cordeliers), bien que l’évolution des noms des voies bayonnaises fasse correspondre, selon René Cuzacq, ce chai à l’actuel n°6-8 de la rue du Trinquet. En 1781, c’est dans ce chai qu’il reçoit une délégation du corps de ville de Bayonne, en robes de cérémonie et escorté d’hommes d’armes, venu lui remettre un pâté aux armes de la ville en récompense d’une cantate de son crû dédiée au roi. En 1751 ou 1752 (les archives sont douteuses), Lesca comparaît devant le tribunal de l’échevinage de Bayonne pour une chanson légère, en français, intitulée <em>La Bouchère culbutée</em>, tournant en ridicule une aventure arrivée à une Bayonnaise exerçant effectivement ce métier, Marie Danglade. Le texte de la chanson nous est parvenu. En 1758, son père décède et Lesca se marie l’année suivante. Le 7 août 1759, il épouse Marie Tiris, d’une famille originaire de la ville landaise de Vieux-Boucau-Port-d’Albret.<br />Ce que l’on sait en plus sur Lesca tient en quelques liasses des Archives municipales. En 1781, il est interpelé en tant que tonnelier pour avoir expédié en Hollande des barriques de vin de Jurançon et de Bergouey, en Chalosse, qui n’avaient pas toutes la contenance réglementaire. En 1784, nous possédons un bon de commande de vin de la municipalité bayonnaise (du vin d’Anglet, de Capbreton, de Lahonce et d’Ondres pour les banquets et réceptions municipaux), avec la facture portant signature de Lesca, qui apparaît dès lors comme un négociant ayant pignon sur rue dans la cité. Un autre acte de cette année nous le montre encore livrant du vin au corps municipal. En 1784, sur ordre de Louis XVI, Bayonne obtient le statut de port franc (de taxes), donc de zone non soumise au service des douanes. Cet événement est accueilli comme une immense joie par le milieu des négociants bayonnais, dont Lesca. D’autres actes nous le présentent en conflit avec un client, en 1787 en particulier. Lesca semble alors occuper une place éminente au sein de la très respectable corporation des maître-tonneliers, qui défile chaque année pour la Fête-Dieu, où leurs chefs portaient des <em>ciris</em>, des cierges où pendaient les insignes de la corporation, ainsi que ses armes. En 1789, il est un des co-signataires du cahier de doléances du corps des maîtres-tonneliers de la ville de Bayonne. La vieillesse de Lesca n’eut, semble-t-il, rien d’original. Il s’éteint dans sa maison, située au-dessus de son chai de la rue Maubec ou rue Pontrique le 21 octobre 1807, à l’âge de soixante-dix-sept ans. Sa femme lui survécut jusqu’au 7 mai 1820.</p>
<h2>Engagement dans la renaissance d'oc</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Ce sont, comme souvent, les félibres gascons de la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle qui exhumèrent de l’oubli la mémoire de Pierre Lesca. Même si plusieurs auteurs du XIX<sup>e</sup> siècle, dont Ducéré, le citent, c’est au félibre Molia, dit Bernat Larreguigne (mort en 1937) que l’on doit l’initiative de la pose de la plaque sur la maison supposée natale de Lesca, l’emplacement choisi étant, selon Cuzacq, erroné : le tonnelier-poète serait en réalité né deux maisons à côté, à l’angle de la rue Charcutière. Lors de son inauguration en septembre 1925, l’adjoint au maire Simonet se fend d’un vibrant discours en gascon bayonnais à la gloire de l’auteur des <em>Tilholèrs</em>. C’est par les érudits bayonnais Édouard Ducéré et Théodore Lagravère que nous connaissons l’essentiel des oeuvres attribuées à Lesca, qui de son vivant ne publia rien. Lagravère, auteur en 1865 de <em>Poésies gasconnes</em> (Bayonne, Lamaignère, 1865), écrivait dans le <em>Courrier de Bayonne</em> depuis Paris, où il résidait. C’est là qu’il publie des poèmes qu’il attribue à Lesca, dont les fameux <em>Tilholèrs</em> dont il déclare avoir remanié et modifié le texte. <em>L’Histoire topographique et anecdotique des Rues de Bayonne</em> de Ducéré (Bayonne, Lamaignère, 6 tomes 1887-1894) propose plusieurs chansons de Lesca (tomes III, IV et V) qui rectifient les libertés semble-t-il prises par Lagravère. En 1928, l’<em>Almanach de l’Acamédie gascoune de Bayonne</em>, institution créée en 1926 à l’initiative de plusieurs Bayonnais, dont Pierre Rectoran, reproduit aussi plusieurs textes de Lesca. Aucune source directe ne semble disponible présentement sur Pierre Lesca, à l’exception d’une <em>Requeste dous artisans</em>, dans les archives non-classées de la Bibliothèque municipale de Bayonne, que Cuzacq attribue formellement à Lesca sur la base d’une comparaison de l’écriture avec des textes attestés de la main du tonnelier. Outre cela, toujours selon Cuzacq, seul le manuscrit 303 du fonds Bernadou de la Bibliothèque municipale de Bayonne renferme quelques poèmes attribués à Lesca, certains d’ailleurs à tort puisque postérieurs de plus de trente ans à la mort du chansonnier. D’après les publications de tous ces érudits, les oeuvres attribuables à Lesca que nous connaissons à l’heure actuelle sont : <em>Le cante dous tilholés</em> (un <em>tilholèr</em> est un batelier maniant la<em> tilhòla</em>, ancien type de barque de l’Adour et de la Garonne), dont un couplet cite le nom du maire de Bayonne, Joseph Verdié, en activité de 1785 à 1788. Nous savons que Lagravère, dans sa transcriptions (il prétend avoir retrouvé le manuscrit original) a changé des noms et réécrit des parties, mais si ce nom-là est d’origine, nous possédons un élément de datation de la chanson. Nous possédons aussi <em>Le Consulte, Requeste dous gardes de bile, Le cante à l’aunou de le nachence dou daufin, Aute cante nabere, Ronde des Agneteires, Chanson du Carnaval, Chanson des Cocus, Requeste dous artisans</em> ainsi que la <em>Bouchère culbutée</em>, en français.<br /><br />Concernant la bibliographie, outre les ouvrages précités de Lagravère, Ducéré et de l’Académie gasconne, ainsi que les rares sources manuscrites, les deux seules synthèses sur Lesca sont toutes deux de René Cuzacq : <em>Panorama de la littérature gasconne de Bayonne</em>, Le Livre, Bayonne, 1941 (pp. 56-62) et <em>La vie de Pierre Lesca</em>, <em>poète gascon bayonnais (1730-1807)</em>, Mont-de-Marsan, éditions Jean-Lacoste, 1955.</p>
Escarpit, David
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Verdié, Antoine (1779-1820)
Verdié, Antoine (1779-1820)
Fonctionnaire
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Figure omniprésente et pourtant mystérieuse du Bordeaux gascon, Jean-Antoine « Meste » Verdié occupe une place à part dans le paysage de l’écrit occitan. Né à la fin d’un siècle que l’on considère souvent comme une période creuse de la littérature d’oc, mort trop jeune pour avoir connu Jasmin et le Félibrige, souvent jugé avec une sévérité excessive dans les anthologies, Verdié est différent. Dans une ville en pleine mutation économique et urbanistique, il lance pourtant le siècle d’or de l’occitan bordelais et reste l’un des plus gros succès de librairie qu’aie connu du Port de la Lune au XIX<sup>e</sup> siècle. Dans la bouche des anciens, sur les marchés ou chez les bouquinistes, Verdié est encore partout. Il est LE représentant du Bordeaux gascon, de l’esprit <em>recardèir</em> de Saint-Michel et des Capucins, des forts des halles et des paysans médoquins endimanchés. Mais il est aussi un des derniers continuateurs de la tradition de l’écriture occitane farcesque et carnavalesque, héritier revendiqué de Goudouli et de François de Cortète.</p>
<h2>Identité</h2>
<h3><b>Formes référentielles</b></h3>
<p style="text-align: justify;">Verdié, Antoine (1779-1820)</p>
<h3>Autres formes du nom</h3>
<p>- Meste Verdié (pseudonyme) <br />- Verdié, Jean Antoine (autre forme du nom)</p>
<h2>Élements biografiques</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Jean-Antoine Verdié est né le 11 décembre 1779 à Bordeaux, probablement dans la paroisse Saint-Rémi, derrière l’actuelle place de la Bourse, à deux pas de la Garonne. Nous ignorons le lieu exact de sa naissance, mais c’est dans l’église paroissiale Saint-Rémi qu’il est baptisé. Son milieu social est très modeste et mal documenté. Son père, Jean Verdié, est boulanger, probablement selon Philippe Gardy davantage un revendeur de pain et de gâteaux qu’un véritable artisan. Sa mère, Marie Brunetié, est un personnage sur lequel nous n’avons aucune information, excepté qu’elle semble être décédée précocement. Nous ignorons à peu près tout de l’éducation de Verdié, éducation dont ses références en matière de littérature laissent penser qu’elle ne fut pas bâclée, mais au contraire de bonne qualité.<br />Verdié se marie le 5 mai 1806 à Bordeaux avec Catherine « surnommée Rose N... » jeune fille mineure de dix-sept ans, demeurant au faubourg Saint-Seurin, c’est à dire dans des quartiers relativement récents à l’époque établis autour de la basilique Saint-Seurin, à l’ouest de Bordeaux, sur la route du Médoc. Nous sommes à l’opposé géographique de son lieu de naissance. C’est le quartier (alors semi-rural) où se déroule le Carnaval de Bordeaux, alors à son apogée, en particulier la procession du Mercredi des Cendres qui conduit les Bordelais jusqu’au village voisin de Caudéran. Ce détail n’en est pas un. C’est là que le ménage s’installe. Verdié est alors déclaré comme boulanger de profession. Verdié et son épouse eurent dans les années suivantes deux enfants, deux fils semble-t-il tous deux décédés en bas âge.<br />En 1810, Verdié s’installe à Bayonne. Les actes de naissance de deux autres de ses enfants (un fils et une fille) nous apprennent qu’il réside, entre 1810 et 1812 au numéro 51 de la rue Pannecau, puis de 1812 à 1814 au numéro 8 de la rue des Cordeliers. Les deux rues sont voisines, et 150 mètres séparent les deux habitations. Ce détail a son importance, parce que c’est dans ce quartier du Petit Bayonne, sur les bords de la Nive, entre le château et la cathédrale qu’a vécu est qu’est mort en 1807 le chansonnier gascon Pierre Lesca, en quelque sorte le Verdié de Bayonne. Ce maître-tonnelier, natif de la même rue des Cordeliers, s’était donc éteint à peine quatre ou cinq ans avant que Verdié n’y emménage, tout près de là, rue Maubec. Lesca, personnage mal connu, avait probablement laissé un souvenir, une trace de son activité dans ce quartier d’artisans en tonnellerie et d’imprimeurs dont Philippe Gardy rappelle l’activité en matière d’écriture populaire gasconne, avec des chansons et des pièces farcesques dont la matière n’est pas sans rappeler celle de Verdié, en particulier un texte manuscrit attribué à un certain Mailli (dont nous ignorons tout). Verdié est alors infirmier major à l’hôpital militaire. Dans le contexte des guerres de l’Empire, en particulier de l’installation par Napoléon Bonaparte de son frère sur le trône d’Espagne, sans parler de son affrontement avec la Grande-Bretagne, Bayonne devient une place forte de première importance stratégique qui attire beaucoup de monde en quête d’emploi dans l’entourage de l’armée. Verdié, sa famille et un certain nombre de Bordelais de son entourage font partie du lot.<br />Verdié rentre à Bordeaux en 1814 et s’installe avec son épouse rue Pont-Long, toujours dans le faubourg Saint-Seurin. C’est vers cette époque que Verdié commence à écrire (nous ne connaissons aucune œuvre de lui antérieure à 1814). Ses pièces sont imprimées chez Anne Roy, veuve de Jean-Baptiste Cavazza, imprimeur-libraire bordelais guillotiné en 1794 pour sympathies monarchistes. En cette fin de l’Empire, le retour des Bourbons est intensément souhaité dans un Bordeaux étranglé par le blocus qu’imposent les Britanniques (partenaires commerciaux privilégiés). Verdié se fait alors le chantre d’un monarchisme légitimiste d’occasion, qui sera généralement mal compris et lui sera reproché. L’imprimerie Cavazza est alors un foyer d’édition de l’écrit favorable aux Bourbons à Bordeaux. Le 11 janvier 1817 au Théâtre Français est jouée sa <em>Mort de Guillaumet</em>, suite d’une de ses farces (<em>l’Abanture comique</em>, en 1815), dont le chroniqueur et avocat bordelais Pierre Bernadau salue la représentation par une note méchante dans ses <em>Tablettes</em>. Verdié est alors grenadier de la Garde Nationale de Bordeaux, poste dont il démissionnera pour devenir employé de l’octroi de la ville (<em>pèla-gigòt</em>, pèle-gigot selon l’appellation locale), puis travaille un temps comme « facteur » à la Ruche d’Aquitaine, revue littéraire bordelais d’Edmond Géraud (francophone, mais attiré par la thématique d’une Occitanie médiévale mythifiée), avant de lancer sa propre revue, mais en occitan : <em>La Còrna d’Abondença</em>, en 1819. Entouré d’une « société de poètes gascons » Verdié se lance dans le projet de la première revue littéraire en langue d’oc connue. Il en livrera sept numéros. Verdié déménage finalement place de Rodesse, dans le quartier Mériadeck. Il y décède le 25 juillet 1820 à l’âge de 40 ans. Nous ignorons les circonstances de sa mort, par ailleurs assez peu documentée. Verdié devient, à peine mort, un personnage de contes et légendes. Vingt-six ans après, en 1846, son premier biographe Laurent Charles Grellet-Balguerie (qui signe Charles Bal) répand l’idée que Verdié a été « sablé » c’est à dire battu à mort avec une peau d’anguille remplie de sable tassé, pour ne laisser aucune trace. On parle de dettes, mais aussi d’excès en tous genres, et même, selon une légende urbaine locale qui se fait jour vers la fin du siècle, d’un pacte avec le diable, qui ferait de l’auteur bordelais une sorte de Faust de l’écriture. Verdié, enterré dans le carré des indigents du cimetière de la Chartreuse, n’aura droit à une véritable sépulture que bien des années plus tard, sur la volonté de sa sœur. Cette tombe a été détruite et a aujourd’hui disparu.</p>
<h2>Engagement dans la renaissance d'oc</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">L’œuvre de Verdié se compose principalement d’œuvres en occitan mêlé de francitan. Il s’agit d’un topos farcesque connu et utilisé depuis le XVII<sup>e</sup> siècle au moins, autant dans la littérature française qu’occitane, que bien d’autres auteurs de langue d’oc, notamment à l’époque baroque, ont utilisé, tels Goudouli ou François de Cortète de Prades. Verdié a écrit des textes en vers qui semblent avoir été destinés à être joués, à la façon des farces de l’âge baroque, dont seul un canevas de texte était écrit, l’interprétation étant laissée au talent d’improvisation des acteurs. Mais il nous a également laissé des pièces en français (réputées de piètre qualité), des chansons et quelques textes de circonstance ou de commande. Presque tout ce qui a été imprimé du vivant de l’auteur l’a été chez la veuve Cavazza :<br /><br /><em>- Acrostiche à l'honneur de Monsieur Lainé, ministre de l'Intérieur, ou la reconnaissance des Bordelais</em> (1814)<br />- <em>L'abanture comique de meste Bernat ou Guillaoumet de retour dens sous fougueys</em> (1815)<br />- <em>La Catastrophe affruse arribade à meste Bernat ou sa séparatioun dam Mariote</em> (1815)<br />- <em>Sounet dédiat aou Rey</em>. (sans doute 1815)<br />- <em>La Revue de Meste Jantot dans l'arrondissement de Bordeaux, ou la Rentrée des Bourbons en France, poëme dialogué, dédié aux amis du Roi, par M. Antoine Verdié</em> (1816)<br />- <em>La mort de Mariote ou meste Bernat bengé</em> (1816)<br />- <em>La mort de Guillaumet</em> (1816)<br />- <em>La Conduite de Grenoble, ou la Conspiration manquée, chanson nouvelle, dédiée aux gardes nationales du royaume </em>(1816)<br />- <em>Le Mois de mars passé, ou le Poisson d'avril mangé par les bonapartistes, chanson nouvelle</em> (1816)<br />- <em>Rondeau du mois de mai... à l'honneur du mariage de S.A.R. Monseigneur le duc de Berri</em> (1816)<br />- <em>La mort de Guillaumet, tragédie burlesque en 2 actes et en vers</em>, Bordeaux, Théâtre Français, 11 janvier 1817<br />- <em>Lou Sabat daou Médoc ou Jacoutin lo debinaeyre dam Piarille lou boussut</em> (1818)<br />- <em>Bertoumiou à Bourdeou ou lou peysan dupat</em> (1818)<br />- <em>Respounse a Meste Verdié, autur daou Sabat saou Medoc. Satire patoise, per un Medouquin</em> (1818), selon Philippe Gardy, Verdié est l’auteur de ce pamphlet rédigé contre lui-même.<br />- <em>Antony lou dansaney ou la rebue des Champs-Eliseyes de Bourdeou</em> (1818)<br />- <em>Alexis ou l'infortuné laboureur</em> (1818)<br />- <em>Les enfans sans soucis, ou L'art de banir la tristesse</em> (1818)<br />- <em>Le Gascon à Bordeaux, ou Maffay et Lazzari, fait historique </em>(1818)<br />- <em>Cadichoune et Mayan ou les doyennes de fortes en gule daou marcat</em> (1819)<br />- <em>Fables nouvelles, dédiées à M. Dussumier-Latour,... commandant de la 2e cohorte de la Garde nationale bordelaise</em>, par M. Verdié. Première édition (1819)<br />- <em>L'Amour et le célibat, comédie en un acte et en vers, par M. Verdié</em> (1819)<br />- <em>Réponse de M. Verdié à la satire qui a été publiée contre lui, ou Rira bien qui rira le dernier</em> (1819)<br />- <em>La Corne d'aboundence, oubratge poétique et récréatif per une societat de poetes gascouns et rédigeat per Meste Verdié</em>. Neuf livraisons (1819-1820)<br />- <em>Dialogue entre l'illustre Don Mardi-Gras et Carême l'abstinent</em>, sans date, d’attribution douteuse.<br />- <em>Le procès de Carnaval, ou Les masques en insurrection</em>, sans date.<br />- <em>Testament de Mardi-Gras</em>, sans date.<br />- <em>Conversion de Mardi-Gras</em>, sans date.<br />- <em>Cansoun</em>, sans date.<br />- <em>Chanson nouvelle</em>,<em> dédiée aux Bordelais pour l'anniversaire des douze mois</em>, sans date.<br />- <em>Le Corps-de-garde, chanson à l'honneur de la nouvelle organisation de la Garde nationale bordelaise</em>, sans date.<br />- <em>Lou Gascoun sur la route de Paris</em>, attribution incertaine, sans date.<br />- <em>Le Gâteau du 6 janvier</em>, sans date.<br /><br />Pour une bibliographie complète de Verdié, il sera renvoyé à la synthèse de François Pic, à la fin de l’ouvrage référentiel de Philippe Gardy : <em>Donner sa langue au diable. Vie, mort et transfiguration d’Antoine Verdié</em>, Bordelais. Fédérop, Section Française de l’Association Internationale d’Études Occitanes, 1990. Il s’agit de la synthèse la plus complète de la vie et de l’œuvre de Verdié qui ait été faite à ce jour.<br />Verdié fut un des plus gros succès de librairie à Bordeaux au XIX<sup>e</sup> et au début du XX<sup>e</sup> siècles. Outre les éditions séparées d’œuvres parues de son vivant, puis dans les années qui ont suivi sa mort (par la veuve Cavazza, puis par son successeur Lebreton), il convient de citer les regroupements de ses textes, publiés par les imprimeurs-libraires Élie Mons, puis Auguste Bord, dans les années 1840-50. La première édition de ses œuvres (presques) complètes voit le jour en 1868, chez Émile Crugy. François Pic précise que « d’une manière ininterrompue le public bordelais put, de 1868 aux dernières années du XIXe siècle, découvrir, posséder et relire les principales œuvres d’A. Verdié » (<em>op. cit</em>. p.211). Il convient de ne pas omettre le travail de Grellet-Balguérie, premier biographe de Verdié : <em>Essai sur les poésies françaises et gasconnes de Meste Verdié, poète bordelais</em>, par Charles Bal. Bordeaux, Coudert, 1846, qui s’appuient sur des témoignages de personnes ayant connu Verdié, dont, semble-t-il, sa propre sœur. Par la suite, nous pouvons citer plusieurs rééditions :<br /><br />- <em>Œuvres gasconnes de Meste Verdié, poète bordelais</em> (1779-1820). Édition nouvelle soigneusement collationnée, considérablement augmentée et précédée d'une notice, sur Antoine Verdié. Son temps, sa vie, ses œuvres, sa langue, par Léon Bonnet, lauréat des Jeux floraux septenaires. Préface de M. Édouard Bourciez, professeur de langues et littératures du sud-ouest de la France, à la Faculté des lettres de Bordeaux. Féret et fils, Bordeaux, 1921.<br /><br />- <em>Farces bordelaises</em>, traduction par Bernard Manciet, préface par Albert Rèche, Bordeaux, l'Horizon chimérique, 1989.<br /><br />- <em>Mèste Verdié. Obras gasconas </em>: Bordeaux, Ostau occitan ; Toulouse, Institut d'études occitanes ; Orthez, Per noste, 1979.<br /><br />- <em>Istoèras bordalesas e gasconas</em>. Version bilingue gascon-français. Éditions des Régionalismes, 2016.</p>
Escarpit, David
Centre interrégional de développement de l'occitan (Béziers)
Recherche en domaine occitan (Montpellier)
2018-03-20
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Sacaze, Julien (1847-1889)
Sacaze, Julien (1847-1889)
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Julien Sacaze <span>(1847-1889) </span>est un érudit d'abord pionnier de l'archéologie pyrénéenne et par la suite spécialiste de l'épigraphie des Pyrénnées. Il est l'auteur de l'une des premières et des plus importantes enquêtes linguistiques et toponymiques ayant trait aux Pyrénées.</p>
<h2>Identité</h2>
<h3>Forme référentielle</h3>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Sacaze, Julien (1847-1889)</p>
<h3>Autres formes connues</h3>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">< Sacaze, Julien-Étienne-Léopold (forme complète d’état-civil)<br />< Sacasa, Julian (forme occitanisée)</p>
<h2>Éléments biographiques </h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Julien Sacaze est né le 24 septembre 1847 dans la cité commingeoise de Saint-Gaudens (Haute-Garonne). Il est issu d’une famille de vieille origine pyrénéenne, originaire du Luchonnais, précisément de la vallée du Larboust. Excellent élève, bachelier à seize ans sur dispense, il est envoyé accomplir des études de théologie et de philosophie au séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux. Il revient ensuite au pays pour entamer des études de Droit à la Faculté de Toulouse. Il s’inscrit comme avocat au barreau de Saint-Gaudens en 1872. Secrétaire du conseil de l’Ordre des avocats en 1877, il est nommé bâtonnier en 1888.<br />Il épouse en 1877 Gabrielle Sapène, fille d’un libraire-imprimeur qui avait fait fortune. L’aisance financière de Gabrielle Sapène mit Julien Sacaze à l’abri du besoin matériel, lui permettant de se consacrer à ses passions archéologiques et ses travaux d’érudit sur les Pyrénées.<br />Sacaze s’intéresse d’abord à l’archéologie préhistorique, en plein essor dans une France nationaliste en recherche de ses origines « indigènes » : érudits locaux, abbés, archéologues plus ou moins qualifiés arpentent les campagnes à la recherche de vestiges des hommes de la Préhistoire et de la Haute Antiquité : dolmens, nécropoles, cromlechs, stèles, etc. Dès les années 1870, il mène prospections et fouilles dans les Pyrénées avec Édouard Piette (1827-1906), pionnier de l’archéologie pyrénéenne, magistrat et découvreur de nombreux sites et objets préhistoriques. À ses côtés, Julien Sacaze fait ses premiers pas d’archéologue amateur et en retire une collection personnelle d’objets, ainsi que la matière à plusieurs communications au sein de sociétés savantes.<br />La grande passion de Julien Sacaze sera cependant l’épigraphie suite à un voyage en Italie en 1880. De retour dans les Pyrénées, il se lance dans le recueil et l’étude des inscriptions antiques, première approche, très archéologique, de la question des langues pyrénéennes. Il publie dès 1880 <em>L'épigraphie de Luchon</em> (Paris : Librairie académique Didier et cie), dans lequel il consacre une note marginale aux inscriptions occitanes de l’Église de Cazeaux-de-Larboust (Haute-Garonne). Son ouvrage majeur, <em>Les inscriptions antiques des Pyrénées</em> (Toulouse, Privat) ne paraît cependant qu’en 1892, trois ans après sa mort. Il s’agit de la première synthèse sur les Pyrénées des époques pré-romaine et gallo-aquitano-romaine. Reconnu dès les années 1880 comme une personnalité savante incontournable du « Midi », fondateur de la Société des Études du Comminges (1884) et de l’Association pyrénéenne (1888) – devenue l’Académie Julien-Sacaze –, membre correspondant du ministre de l’Instruction publique et auxiliaire de la Commission géographique de l’ancienne France, un cours de professeur libre d’épigraphie des Pyrénées est même spécialement créé pour lui à la faculté des Lettres de Toulouse. La présentation de son cours d’épigraphie et de géographie historique des Pyrénées dans la <em>Revue de Gascogne</em> nous renseigne sur l’intérêt toujours archéologique que portait Julien Sacaze au recueil de la langue et de la culture orale des Pyrénéens de la fin du XIXe siècle : « M. Sacaze se propose d’étudier en outre les mœurs et les croyances religieuses antérieures au christianisme. Les auteurs anciens ne disent rien là-dessus ; les inscriptions au contraire fournissent des renseignements nombreux, mais fort peu explicites. C’est à l’aide des traditions pyrénéennes que le professeur doit jeter quelque jour sur cette question fort difficile et fort délicate<a id="1" href="#note1"><sup>1</sup></a>. » C’est donc en tant qu’érudit féru d’archéologie et d’épigraphie des Pyrénées lance le projet de sa fameuse enquête linguistique et toponymique en 1887. Il décède brutalement deux ans plus tard, le 20 novembre 1889, emporté par une maladie à l’âge de 42 ans, laissant un grand nombre de travaux inachevés.</p>
<h2>Engagement dans la renaissance d’oc</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Julien Sacaze s’intéresse d’abord marginalement aux langues parlées dans les Pyrénées, consacrant seulement un court passage sur « les patois » du pays de Luchon et sur la langue basque dans son recueil d'<em>Épigraphie de Luchon</em> paru en 1880. <br />En 1884 il fonde la Société des Études du Comminges et la <em>Revue d’Études du Comminges</em> (1885), dans le droit fil du développement des sociétés savantes régionales qui marque la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle. La Société et son fondateur consacrent dès les premiers numéros leurs travaux à l’étude de la langue et la culture populaire d’expression occitane, dans une visée essentiellement ethnographique, avec la rubrique « littérature populaire du Comminges ». Notons que Julien Sacaze, en présentant la rubrique, voit le parler occitan du Comminges comme un « patois », variant d’une zone à l’autre, sans jamais le concevoir vraiment comme la variété d’un ensemble linguistique d’oc plus vaste : « il nous paraît bon de réunir aussi quelques spécimens des variétés modernes du dialecte commingeois, l’un des idiomes pyrénéens les moins étudiés, l’un des plus dignes de l’attention des linguistes. Un jour, nous essayerons de tracer les limites géographiques de notre patois, de rechercher ses caractères spécifiques et d’indiquer les sous-dialectes qui le constituent…<a id="2" href="#note2"><sup>2</sup></a>» À travers les travaux de la Société, Julien Sacaze commence donc une entreprise de recension et d’édition des textes historiques commingeois en occitan associée à une collecte de la langue parlée à travers le recueil de la culture folklorique (littérature orale, contes et proverbes, appellations locales d’objets ou d’outils, etc.)<br />En 1887, profitant de son rôle au sein du comité d’organisation de l’Exposition nationale qui doit se tenir à Toulouse, en particulier du projet d’exposition pyrénéenne, il entame un des premiers chantiers de grande envergure sur la connaissance des langues parlées dans les Pyrénées (occitan, basque, catalan), dans une perspective dialectologique plus que sociolinguistique. Le projet de Sacaze reste en effet dans la lignée des travaux de la dialectologie parisienne, celle ouverte par l'enquête Coquebert de Monbret sous le Premier Empire, et celle de son époque, incarnée par Gaston Paris et Paul Meyer. À la première, il emprunte le procédé de la traduction partout d'un même texte-support, des seconds il reprend implicitement l'idée selon laquelle la langue nationale est définitivement séparée des parlers populaires conçus comme une tapisserie aux variations infinies et ne pouvant être considérés comme constituant une langue véritable. Ce qui revient à présenter comme une chimère l'idée d'un ensemble linguistique d’oc autonome dans l'ensemble roman, à surévaluer la différence entre la langue écrite des textes anciens et les parlers contemporains, et à étudier ces derniers dans une optique purement conservatoire et savante comme n'étant que des idiomes archaïques promis à une inéluctable disparition face aux progrès de la langue nationale, mais pouvant éventuellement renseigner sur l'histoire du français<a id="3" href="#note3"><sup>3</sup></a>. Dans sa circulaire aux instituteurs pour la conduite de l’Enquête pyrénéenne il écrit : « Il importe, en effet, de recueillir sur nos vieux idiomes pyrénéens des documents qu’il sera bientôt impossible de se procurer. Chaque jour la langue française, l’une des forces les plus expansives de notre nation, bat en brèche les patois romans et le basque lui-même, et l’on peut prévoir le temps où ces anciens idiomes seront tellement altérés qu’il y aura lieu d’en souhaiter la complète disparition… » (Exposition nationale de 1887 - Section pyrénéenne : Géographie historique des Pyrénées : Linguistique et Toponymie ; Circulaire de Julien Sacaze aux instituteurs).<br />Quels que soient ses motifs, Julien Sacaze n’en est pas moins l’auteur d’une des premières grandes enquêtes linguistiques sur une aire vaste, couvrant neuf départements et trois domaines linguistiques (Sacaze répartit son enquête en quatre domaines : catalan, languedocien, gascon et basque) : Hautes-Pyrénées, Basses-Pyrénées (Pyrénées-Atlantiques), Ariège, Haute-Garonne, Gers, Landes, Aude et Pyrénées-Orientales. « L’Enquête de linguistique et de toponymie des Pyrénées », souvent dénommée « Enquête Sacaze », comporte deux volets principaux : <br />- un recueil toponymique pour lequel Sacaze demande à chaque enseignant une carte de la commune avec les toponymes en langue du pays : quartiers, hameaux, hydronymes, oronymes... ; <br />- un aspect linguistique, qui consiste en la traduction de deux textes : « la légende de Barbazan », dans une version extraite de l’ouvrage d’Eugène Cordier <em>Les légendes des Hautes Pyrénées</em>, pp.16-24, chapitre « Dieu et les lacs » (lac de Lourdes et de Lhéou). Lourdes, imprimerie Cazenave, 1855, et « la légende de Tantugou », vieux mythe pyrénéen, dans une version collectée par Sacaze lui-même, et publiée dans la Revue de Comminges (III, 1887, pp.116-118), sous le titre « Le dieu Tantugou. Légende du pays de Luchon : en texte patois et traduction littérale ».<br />Sacaze récolte les fruits de son Enquête toponymique et linguistique sous la forme d’un colossal corpus de 14500 feuillets, rassemblés en 35 volumes. Dans une communication à l’occasion du Congrès des Sociétés savantes de Paris et des départements, qui s’est tenu à la Sorbonne, l’année de la mort de Sacaze en 1889, celui-ci ne se dissimule pas les limites de son travail : « ... par sa nature même, et surtout à cause du grand nombre de collaborateurs appelés de toutes parts et sans préparation à y concourir, ce vaste recueil est loin d’être parfait ; mais il rendra sûrement des services aux linguistes, aux ethnographes, aux géographes qui le consulteront. » (<em>Revue des Pyrénées et de la France méridionale</em>, 1889)<br /><br />Il confie les trente-cinq volumes de son Enquête à la Bibliothèque municipale de Toulouse, où ils sont toujours conservés. Disparu peu après la réalisation de l’Enquête, Sacaze en publia seulement quelques échantillons dans la Revue des Pyrénées. Elle inspira cependant une nouvelle grande enquête dialectologique, celle que conduisit Édouard Bourciez de la faculté de Lettres de Bordeaux en 1894 pour le domaine gascon. Notons que Bourciez, véritable linguiste et proche des acteurs de la Renaissance d’oc en Gascogne, livre une enquête plus poussée sur le plan méthodologique et linguistique que celle menée par Julien Sacaze, difficilement exploitable faute d'un véritable système de transcription des témoignages oraux.<br />Julien Sacaze ne fut pas un acteur du mouvement de Renaissance d’oc tel qu’il se structure dans le dernier tiers du XIXe siècle autour du Félibrige, qui touche d’ailleurs bien après sa mort les régions pyrénéennes (<em>Escolo Gastou Febus</em> créée en 1896, <em>Escolo deras Pireneos</em> en 1904). Il projette sur la langue parlée dans les Pyrénées un regard d’archéologue pour qui elle représente les vestiges altérés et promis à une inéluctable disparition de langues et de savoirs anciens. Pour autant Julien Sacaze fait figure d'acteur du développement d’une science « méridionale » autour de la faculté des Lettres de Toulouse, ville qu’il souhaite contribuer à ériger en « capitale intellectuelle du Midi de la France », développement s’appuyant sur un quadrillage des territoires d’investigation par des sociétés savantes régionales. Dans l'article nécrologique qu'il donne sur Julien Sacaze, F. Garrigou, cofondateur de l'Association des Pyrénées, parle de l'ambition de Sacaze pour une grande société d'étude méridionale, aspirant à « une levée de boucliers dans le Midi, en faveur d'un grand acte de décentralisation scientifique<a id="4" href="#note4"><sup>4</sup></a>. » Notons que l'article ne fait aucune mention de l'Enquête linguistique de Julien Sacaze.</p>
<hr />
<p id="note1" style="text-align: justify; line-height: 150%;">1. LAVERGNE Adrien. « Cours libre d’épigraphie des Pyrénées : professé par M. Julien Sacaze à la Faculté des Lettres de Toulouse » dans : <em>Revue de Gascogne</em>, t. 29, 1888.<a href="#1">↑</a></p>
<p id="note2" style="text-align: justify; line-height: 150%;">2. <em>Revue de Comminges</em>, 1, 1885<a href="#2">↑</a></p>
<p id="note3" style="text-align: justify; line-height: 150%;">3. La Conférence sur « Les parlers de France » de Gaston Paris, donnée le 26 mai 1888, expose ce qui sera la doctrine des tenants de la dialectologie parisienne, particulièrement empreinte de l'idéologie nationaliste de l'après guerre de 1870 et des débuts du la III<sup>e</sup> République.<a href="#3">↑</a></p>
<p id="note4" style="text-align: justify; line-height: 150%;">4. GARRIGOU, F. « Notice biographique sur Julien Sacaze » dans : <em>Revue des Pyrénées</em>, 1890<a href="#4">↑</a></p>
Escarpit, David
Centre interrégional de développement de l'occitan (Béziers)
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2017-09-19
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Bourciez, Édouard (1854-1946)
Bourciez, Édouard (1854-1946)
Enseignant ; professeur
Universitaire
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Édouard Bourciez (1854-1946), agrégé de Lettres, professeur à l’université de Bordeaux, dirigea la première grande enquête linguistique sur l’occitan en Gascogne. Membre de l’<em>Escole Gastou Fébus</em>, collaborateur régulier de la revue <em>Reclams de Biarn e Gascougne</em> et auteur de nombreuses études linguistiques sur le domaine gascon, il soutint l'instituteur béarnais Sylvain Lacoste et ses revendications pour un enseignement du gascon à l’école.</p>
<h2>Identité</h2>
<h3>Forme référentielle</h3>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Bourciez, Édouard (1854-1946)</p>
<h3>Autres formes connues</h3>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">< Bourciez, Édouard-Eugène-Joseph (1854-1946) (nom complet d'état-civil)</p>
<h2>Éléments biographiques </h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Édouard Eugène Joseph Bourciez est né à Niort, dans les Deux-Sèvres, le 29 janvier 1854, dans une famille d’enseignants. Élève brillant, il est admis en 1873 à l’École Normale Supérieure, licencié ès-Lettres l’année suivante puis agrégé en 1876. Il entame alors une carrière dans l’enseignement secondaire comme professeur au lycée de Bar-le-Duc, puis à Orléans. Son premier contact avec la terre d’Oc sera à Nice, où il sera nommé ensuite. Il enseignera également à Nancy. <br />Son retour en Occitanie se fera en 1883 : il est alors nommé maître de conférence à la faculté de Lettres de Bordeaux, institution et ville qu’il ne quittera plus. Il soutient en 1886 sa thèse de doctorat en français sur <em>Les Mœurs polies et la littérature de cour sous Henri II</em> complétée, comme le voulait alors le règlement pour les universitaires exerçant en Lettres, par une seconde thèse, en latin : <em>De Praepositione "ad" casuali in latinitate aevi merovingici, thesin Facultati litterarum Parisiensi</em>. Il devient en 1890 professeur-adjoint, puis en 1893 professeur des universités, en charge de la toute neuve chaire de Langue et littérature du Sud-Ouest.<br /> C’est dans la grande ville gasconne que Bourciez commence véritablement à s’intéresser à l’idiome occitan, et en particulier à sa forme gasconne bordelaise à partir du début des années 1890. Ce romaniste possède alors déjà à son actif un certain nombre de travaux sur la grammaire du latin, du français ancien et moderne, sur la littérature occitane - déjà - et espagnole, sur la phonétique et la phonologie... Son activité couvre l’ensemble du domaine roman. En plus de soixante ans d’une carrière exceptionnellement riche, Édouard Bourciez s’est intéressé à une infinité de choses, mais ce sont les études gasconnes qui vont constituer, de plus en plus, le cœur de son action d’enseignant-chercheur à partir de sa nomination à Bordeaux, sans toutefois rien dédaigner de l’ensemble de son domaine d’étude. C’est de Bordeaux qu’il lancera son enquête linguistique en 1894. Jusqu’à ses vieux jours, il conservera une activité de publication et de recherche, relisant et corrigeant ses œuvres en vue de rééditions. Il décède à Bordeaux le 6 octobre 1946, à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Son successeur de chaire, Gaston Guillaumie, lui consacre un article nécrologique qui retrace son parcours. Son fils, Jean Bourciez, fut aussi un universitaire de renom, auteur de travaux sur la langue occitane tels que sa thèse intitulée <em>Recherches historiques et géographiques sur le parfait en Gascogne</em> (Bordeaux, Féret, 1927). Il œuvra aux côtés de son père pour les derniers travaux de celui-ci.</p>
<h2>Engagement dans la renaissance d'oc</h2>
<h3>Recherches dans le domaine des langues romanes, et plus particulièrement de la langue d’oc</h3>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Il sera traité plus loin de la bibliographie très abondante d’Édouard Bourciez, qui recouvre une période de soixante-cinq années de son vivant, sans compter les nombreuses rééditions posthumes. Si sa première contribution avérée aux études occitanes est un article paru dans la première livraison des <em>Annales de la faculté des Lettres de Bordeaux</em> (1888) consacré aux œuvres du poète Arnaud Daubasse (1664-1727), « maître-peignier » originaire de Villeneuve-sur-Lot, c’est au domaine gascon et particulièrement à Bordeaux que Bourciez va se consacrer très rapidement. Bourciez est issu d’une des dernières générations qui ont connu la pratique courante et quotidienne de l’occitan dans les rues de Bordeaux, et davantage encore dans sa banlieue et la campagne environnante. Ses connaissances de philologue et de romaniste vont très rapidement lui permettre de mettre au point un croisement entre approches synchronique et diachronique de l’occitan bordelais, en comparant ce que lui donnent les sources de l’époque médiévale à son temps, à ce qu’il peut entendre tout autour de lui. Notons également que Bourciez arrive à Bordeaux dans un contexte plutôt favorable à la valorisation de la « langue gasconne » aussi bien par sa présence dans la réalité quotidienne, mais aussi par l’existence d’un certain nombre de gens de lettres et d’universitaires très attirés par son étude. La municipalité de Bordeaux encouragea plusieurs publications sur l’histoire et la culture locales, dont la célèbre <em>Histoire de Bordeaux</em> de Camille Julian, confrère de Bourciez à la faculté, historien très au fait de l’identité gasconne bordelaise. Mais nous pouvons citer également Jules Delpit, Achille Luchaire, les abbés Hippolythe Caudéran et Arnaud Ferrand (et le cénacle de prêtres occitanophiles qui l’entourait), Léo Drouyn ou encore Reinhold Dezeimeris. Nous voyons paraître dès 1890 dans les mêmes <em>Annales de la faculté de Lettres</em> « La Conjugaison gasconne d’après les documents bordelais », qui reprend une partie d’une plus vaste étude, demeurée manuscrite et dont une copie est conservée à la Bibliothèque universitaire de Bordeaux sous le titre <em>Étude sur le dialecte gascon parlé à Bordeaux vers 1400 d’après le Livre des Bouillons, les registres de la Jurade et les chartes de l’époque</em>, sans date ni nom d’auteur, mais dont le doute concernant l’attribution à Bourciez n’est pas permis. Cette étude, qui ne demande qu’à être publiée, représente la synthèse diachronie/synchronique précédemment évoquée, au moyen d’un croisement très rigoureux des sources anciennes et modernes. En 1892 paraît <em>La Langue gasconne à Bordeaux : Notice historique</em>, qui est d’abord intégrée à une monographie publiée par la municipalité de Bordeaux, avant de connaître des rééditions dans les années 2000. Suivent « Les documents gascons de Bordeaux de la Renaissance à la Révolution » qui paraît en 1899 dans les <em>Actes de la Société Philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouest</em>, puis en 1901 <em>Les mots espagnols comparés aux mots gascons (époque ancienne)</em>. Mais parallèlement, Bourciez continue à étudier la linguistique romane, la phonétique et la syntaxe du français ancien et moderne, mais aussi des dialectes d’Oïl comme le parler « gavache », auquel il consacre quelques travaux. En 1936 paraît <em>Le domaine gascon</em> (Droz). Bourciez contribue activement pendant ce temps à des publications aussi prestigieuses que le <em>Bulletin hispanique</em>, la<em> Revue critique</em>, la <em>Revue des études anciennes</em>, et pour en rester au domaine occitan, la célèbre revue <em>Reclams</em> (il sera un des codificateurs de la norme félibréenne béarnaise et gasconne en trois étapes, 1900, 1902 et 1904), les <em>Annales du Midi</em>, la <em>Revue des universités du Midi</em>, la <em>Revue des Pyrénées et de la France méridionale</em> ou les bordelaises <em>Revue méridionale</em> et <em>Aquitania</em>. <br />Édouard Bourciez est surtout connu pour sa colossale enquête linguistique, lancée en 1894 et connue sous le nom d’Enquête Bourciez, quoique son titre d’origine soit le <em>Recueil des idiomes de la région gasconne</em>. Prévue, nous dit-il dans la préface du manuscrit pour l’Exposition universelle prévue à Bordeaux en mai 1895<a id="1" href="#note1"><sup>1</sup></a>, elle se donne pour propos de réunir et offrir au public des specimens des idiomes actuellement parlés dans le Sud-Ouest de la France, et plus particulièrement de ceux qui se rattachent aux diverses variétés de la langue Gasconne.<br /><br /> Ces dix-sept volumes manuscrits conservés à la Bibliothèque universitaire de Bordeaux, dans leur version papier originale et en copies microfilm, se basent sur un texte déjà utilisé précédemment pour les enquêtes linguistiques, la <em>Parabole du fils prodigue</em>, dans une forme revisitée par l’universitaire afin d’obtenir tous les types de mots et de formes qu’il juge nécessaires pour avoir une sorte de photographie en un temps T de l’idiome pratiqué dans chaque commune des zones concernées. La parabole est donc adressée à tous les instituteurs de chaque ville et village des académies de Bordeaux et Toulouse (pour sa partie gasconne), par l’intermédiaire des inspecteurs d’académie et inspecteurs primaires. Le soin est laissé ensuite aux enseignants de traduire eux-mêmes le texte, ou de se faire aider par qui leur convient localement. Il reçut en retour 4 444 réponses<a id="2" href="#note2"><sup>2</sup></a> , principalement de la zone occitane, mais aussi de la zone basque et de quelques communes de dialecte d’Oïl. Cette enquête est à ce jour inédite pour sa partie occitane (Charles Videgain ayant œuvré à la publication de la partie bascophone). Elle constitue un document essentiel et incontournable pour comprendre la variation diatopique de l’occitan occidental, et plus généralement pour permettre une pensée de la dialectologie occitane. <br />Mais Bourciez est également l’inventeur du code de transcription phonétique appelé « alphabet de Bourciez » ou « de Boehmer-Bourciez » ou encore « alphabet » ou « transcription des romanistes », qui constitue une des premières tentatives d’un alphabet phonétique de transcription. Pensé pour les langues romanes et le grec, il reprend certains éléments de la norme d’écriture de l’occitan que proposait dès 1860 Hippolythe Caudéran (que Bourciez cite à plusieurs reprises). Notons qu’il est contemporain des premiers essais de l’API (qui paraît pour la première fois en 1888 sous la direction de Paul Passy). Bourciez s’est intéressé de près aux travaux de l’abbé Rousselot sur la phonétique expérimentale, et bien sûr à ceux de son confrère suisse Jules Gilléron, avec la publication entre 1902 et 1910 de l’<em>Atlas linguistique de la France</em>. L’alphabet de Bourciez, toujours utilisé ponctuellement pour l’ancien français, est celui qui a été notamment employé pour les transcriptions de l’Atlas linguistique de la Gascogne de Jean Séguy, Jacques Allières et Xavier Ravier.</p>
<h3>Engagements en faveur de l’enseignement de l’occitan</h3>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">Mais Édouard Bourciez ne s’est pas contenté d’illustrer de ses recherches les études occitanes. Cet homme de la Sèvre niortaise, parisien d’études et de jeunesse, affecté en plusieurs endroits au début de sa carrière, s’est définitivement fixé à Bordeaux où il est devenu un militant de la défense de la langue occitane, s’identifiant totalement à son nouvel espace de vie gascon auquel il a consacré certains de ses travaux les plus célèbres. En cela, Bourciez est l’incarnation parfaite et anticipée de ce qu’affirma bien des années plus tard Félix Castan : « On n’est pas le produit d’un sol, on est le produit de l’action qu’on y mène ». Son engagement aux côtés des pionniers de l’enseignement de l’occitan, et plus généralement des langues dites régionales, est moins connu. Signataire de pétitions quand le besoin s’en faisait sentir, Bourciez fut en outre un auxiliaire précieux pour l’instituteur Sylvain Lacoste, de l’<em>Escole Gastou Fébus</em>, un des premiers enseignants à avoir activement milité pour que le « patois » fût enseigné à l’école à côté du français. Auteur en 1900 de l’ouvrage fondateur <em>Du patois à l’école primaire</em> (Pau, Vignancourt), dont les deux premières parties paraissent également dans <em>Reclams</em>, Lacoste publie en 1902 un <em>Recueil de versions gasconnes</em> préfacé par Bourciez, caution morale et scientifique de la démarche. L’enseignement de la langue d’oc à l’école connaît un véritable engouement à cette époque, en particulier en Gascogne, auprès de nombreux enseignants. Bourciez, par son prestige universitaire et le poids de sa parole, n’y est sans doute pas étranger. En 1942, Bourciez, en fin de vie, sera encore le préfacier de la <em>Bibliographie gasconne du Bordelais</em> de Pierre-Louis Berthaud. Il y laisse transparaître sa foi en l’avenir de l’occitan et ses espoirs, à travers les propos que Berthaud lui-même cite onze ans plus tard à la fin de son ouvrage <em>La littérature gasconne du Bordelais</em> :<br /><br /> « Dans la partie la plus septentrionale de la zone gasconne, l’idiome des ancêtres s’est conservé au cours des siècles et a laissé, de sa pérennité, des témoignages qui, pour être à de certains moments assez clairsemés, n’en sont pas moins incontestables. Il vit toujours, malgré la puissante emprise qu’exerce sur lui la langue française : il vit, il est parlé, fort peu évidemment dans les villes, même parmi les classes populaires, mais encore d’une façon très courante dans les campagnes. Il se parle, donc il peut aussi s’écrire. D’ailleurs, qui connaît l’avenir ? Qui sait si, quelque jour, il ne donnera pas un éclatant démenti aux prophètes de malheur ? »</p>
<hr />
<p id="note1" style="text-align: justify; line-height: 150%;">1. Le catalogue de l’exposition (Bordeaux, Gounouilhou, 1895) ne contient cependant aucune allusion au gascon et encore moins aux travaux de Bourciez. <a href="#1">↑</a></p>
<p id="note2" style="text-align: justify; line-height: 150%;">2. Sur 4414 communes, certaines ne répondant pas mais d’autres ayant envoyé en réponse deux, trois, quatre voire davantage de versions du texte.<a href="#2">↑</a></p>
<hr />
<h2>Bibliographie de l'auteur</h2>
<p style="text-align: justify; line-height: 150%;">- Voir les publications de Édouard Bourciez référencées dans <br /><a href="http://trobador.occitanica.eu/cgi-bin/koha/opac-search.pl?q=an%3D23487" target="_blank" rel="noopener">Le Trobador, catalogue international de la documentation occitane</a></p>
<hr />
Escarpit, David
Centre interrégional de développement de l'occitan (Béziers)
Recherche en domaine occitan (Montpellier)
2017-08-21
Vignette : https://vidas.occitanica.eu/files/square_thumbnails/f24e32ba1c648e71a6f94d7069253a8c.jpg
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